The Paradise Institute : Fantômes d’amour
La Galerie de l’UQAM présente The Paradise Institute, une installation de Janet Cardiff et George Bures Miller. Absente lors de l’exposition au MAC en 2002, on l’attendait depuis quatre ans…
C’est une sorte de grande construction de bois et de contreplaqué sans fenêtres, assemblée au milieu de la salle d’exposition. Il s’agit d’y entrer, de s’y asseoir et d’enfiler le casque d’écoute relié à notre siège. Le nom de l’exposition est en fait le nom de l’oeuvre: bienvenue au Paradise Institute.
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Bien qu’ayant tous deux une pratique artistique indépendante, Janet Cardiff et George Bures Miller ont travaillé ensemble à bon nombre de pièces. En fait, chacun participe constamment aux projets de l’autre: Miller est toujours présent dans les Walks de Cardiff (par lesquelles elle fut internationalement reconnue), et cette dernière participe aux sculptures cinétiques et machines de toutes sortes que construit son amoureux. Difficile de départager? Normal, leur collaboration essaie justement d’embrouiller cet aspect, comme leur ambition artistique est précisément de désincarner le spectateur en lui imposant une situation de dislocation radicale.
Comme c’est le cas ici, leurs travaux sont souvent des réflexions sur la mémoire, les réalités instables, le désir, l’espace physique et la structure filmique. The Paradise Institute parle de l’artifice cinématographique. Décrire une oeuvre sortie de l’esprit de ces deux-là et la redoutable efficacité de leurs inventions n’est jamais une mince affaire…
CE DONT IL S’AGIT
Une fois dans l’oeuvre, on prend place dans l’un de la quinzaine de sièges de ce qui semble être un balcon surplombant un très grand cinéma, sombre et vieillot, plafond à dorures et tapis de ce rouge pourpre familier, propre à l’idée que l’on se fait des premières salles de projection. Les sièges et le balcon sont de taille normale, mais l’espace en dessous de nous est une illusion obtenue par une maquette en hyper-perspective. Les lumières s’éteignent, le voyage dure 13 minutes. Apparaît sur l’écran un film à l’intrigue délibérément compliquée, un peu érotique et vaguement sinistre. Il est difficile de s’y retrouver: les séquences sont rapides, et par nos écouteurs, on entend plein d’interruptions et de bruits qui semblent venir d’un public absent à notre regard.
Le son est travaillé comme un élément plastique, et, entouré de cet environnement audio enregistré avec une technique spéciale reconstituant la perception en trois dimensions, on entend des toussotements, une femme qui chante (dans le film ou pas?), des bruits de pas qui nous frôlent. Un portable sonne, un homme répond en italien. Une femme (Cardiff) nous murmure des choses à l’oreille. Le film projeté est impossible à comprendre et les fausses personnes autour de nous sont parfois inconfortablement proches. Le méchant sort même de l’écran pour venir s’asseoir derrière nous, à la fin. Le son et les images se mêlent, et à un certain point, il est absolument impossible de distinguer ce qui provient du film, des présences fantômes autour de nous ou des personnes réelles, assises à nos côtés. Mais au fait, réelles comment?
En se jouant des perceptions des spectateurs et en désorganisant les informations que nos oreilles nous envoient, l’oeuvre crée quelque chose comme une hyper-réalité, décuplant la conscience de notre corps et de l’endroit où nous nous trouvons.
La grande force de The Paradise Institute réside en ce tiraillement continuel entre nos perceptions, l’artificialité de l’expérience filmique et ces glissements où la fiction s’immisce jusque dans la réalité. Les deux artistes représentaient le Canada à la 49e Biennale de Venise en 2001; l’oeuvre remporta le Prix spécial du jury.
Jusqu’au 17 juin
À la Galerie de l’UQAM
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