Brian Jungen : La Métamorphose
Arts visuels

Brian Jungen : La Métamorphose

Brian Jungen, artiste de 36 ans, Prix Sobey en 2002, à l’affiche ces jours-ci à la Tate Modern à Londres, expose aussi au Musée d’art contemporain. Transmutation identitaire.

De mère amérindienne et de père suisse, l’artiste vancouvérois Brian Jungen sait faire dans la métamorphose. Il est en effet surtout connu pour ses appropriations d’objets qu’il transforme. Des chaussures Nike se trouvent ainsi transfigurées en masques amérindiens, de banales chaises de jardin en plastique blanches deviennent d’impressionnantes carcasses de baleines, ou de créatures disparues, suspendues aux plafonds des musées… Encore un héritier de Marcel Duchamp? Encore une énième récupération des ready-mades? Encore des objets de la vie courante montrés autrement, désignés comme porteurs de valeurs sociales? Ce n’est peut-être pas si simple.

Jungen adapte ces objets à un point tel qu’il les rend presque méconnaissables. S’il faut lui trouver une filiation dans l’art du XXe siècle, c’est avec Picasso qu’il faut la constituer plutôt qu’avec Duchamp. Ces chaussures transformées en masques font en effet penser à cette sculpture Guenon et son petit (1951), réalisée à partir de deux jouets, petites voitures Volkswagen, ou bien à cette Tête de taureau (1942), bâtie à partir d’un guidon et d’une selle de bicyclette. Picasso a su très tôt développer cet art de la métamorphose des formes, dès ses tableaux cubistes. Jungen sait réutiliser cette manière de faire et n’hésite pas à y insérer un contenu social. Ces mutations des chaussures de sport ne sont pas sans porter un regard analytique sur celles-ci.

Ces dernières se révèlent comme des masques ou des parures de guerre. Elles énoncent aussi comment le vêtement masculin se réapproprie lentement des éléments décoratifs, un aspect très "parure", très ornemental. Alors que depuis la fin du XVIIIe siècle, les vêtements pour homme faisaient dans l’épuré, dans le costume de deuil (dixit Baudelaire), voici en effet que depuis quelque temps les hommes se laissent aller à une certaine préciosité des formes. Les chaussures se font dispendieuses, travaillées en des designs presque capricieux… Même les hétéros se laissent aller à cette coquetterie, au nom bien sûr de la technologie et de la performance (athlétique). Car c’est bien connu, tous ceux qui enfilent ces merveilleuses pompes s’en servent pour augmenter leurs prouesses athlétiques… Quant à ces chaises imputrescibles, non biodégradables, Jungen nous les montre comme les futurs artefacts de notre monde contemporain, les restes d’une civilisation perdue…

Certaines des oeuvres font donc penser à ces jouets "Transformers" que, depuis les années 80, les enfants affectionnent. Dans ce travail, il y a en effet quelque chose de l’ordre du jeu du jeune garçon qui sait tout transformer, le moindre bout de papier ou le moindre crayon, en avion ou en fusée.

Mais bien heureusement, le processus créatif de Jungen ne se résume pas à ces interventions séductrices, même si elles sont très réussies. Et le MAC et la Vancouver Art Gallery (qui fait circuler l’événement) ont bien fait de nous montrer plus que cela. J’aime en particulier cette oeuvre intitulée Isolated Depiction of the Passage of Time, composée de plateaux de cafétéria à l’intérieur de laquelle une télé diffuse un film. Faisant référence à une structure utilisée par un détenu pour s’évader d’une prison, cette sculpture postminimaliste nous parle du sens caché du monde qui nous entoure.

Jusqu’au 4 septembre
Au Musée d’art contemporain
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