Evergon : À bras-le-corps
Le photographe Evergon est de retour avec une série d’images. Choquantes? Bien montées en tout cas.
Tout dans cette exposition devrait me déplaire. Les plus récentes photographies d’Evergon font preuve d’un exhibitionnisme certain. Vous y verrez l’artiste lui-même, posant nu, avec des hommes, dans diverses positions qui paraissent très explicites. Une (petite) partie du Kama-Sutra gay semble y être étalée. Dans cette série, il y a une certaine ressemblance avec les photos que le très surfait Jeff Koons a montées avec sa femme, l’actrice porno et députée italienne (la politique dans ce pays est décidément surprenante…) surnommée La Cicciolina. Koons s’y montrait dans diverses poses sexuelles, organes génitaux en interaction et clairement exhibés.
Qu’on ne me croie pas bégueule. Bien au contraire. L’art se doit de parler de ce qui est intime, des fantasmes, de l’interdit… Ce serait une prise de position stupide que de vouloir le contraire. Mais j’aime bien que l’art sache vraiment me troubler, autrement que par des trucs faciles. Je n’aime guère que l’on enfonce des portes ouvertes (qu’on n’y voie aucune connotation sexuelle!) ou que l’on essaie de se faire de la renommée en faisant peur à ce que l’on nomme le grand public. Je trouve ce type d’attitude trop commode.
Les images soft porn hétéros de Koons n’ébranlent profondément personne. De nos jours, quel adulte n’a pas vu des images pornos? Et puis Koons n’est pas Mapplethorpe (qui, lui, prenait des photos de gars noirs aux sexes imposants, bien plus énervantes pour l’Amérique blanche). Et je crois que l’homosexualité des photos d’Evergon ne commotionne plus vraiment la majorité au Québec. Ces images tenteraient donc de se faire facilement du capital artistique?
Tout dans cette expo devrait me déplaire, pourtant il n’en est rien. Les récentes images d’Evergon sont d’une grande qualité. Je dirais même que cela fait longtemps qu’il n’avait monté une expo aussi bonne. Cette photo à l’entrée, inaugurant la série, est la plus superbe. On y voit un jeune homme vêtu d’une chemise de prêtre (dixit Evergon) qui semble se faire tripoter par l’artiste. Evergon y cite Le Caravage, mais il touche aussi à l’art de Rembrandt, à sa Femme au bain avec ses jupons retroussés… Un ravissant travail visuel sur le blanc, sur la texture des tissus et de la peau, d’une grande sensualité.
Ces images, à la différence de celles de Koons, ne sont pas clichées. Elles ne sont pas une glorification de la beauté conventionnelle. Evergon, homme de 60 ans un peu enrobé, ne correspond pas aux canons de l’imaginaire porno. Ses modèles non plus. Malgré leur jeunesse, ils sont tous un peu hors norme, originaux.
Ces images ne sont pas non plus un éloge de la performance sexuelle. Le regardeur (on me permettra d’utiliser ce mot pour éviter à mon lecteur-spectateur d’être associé à un voyeur!) remarquera comment, à l’exception d’une photo, les organes génitaux sont cachés. Pourtant, ces représentations sont plus dérangeantes que celles de Koons. On y voit la rencontre entre un homme vieux et des hommes plus jeunes. Voilà un sujet plus sensible. Ceux qui connaissent l’histoire de l’art remarqueront aussi comment les jeunes hommes y prennent des poses de tableaux célèbres (Rubens, Gérôme, Raphaël…). Le grand art y rencontre la réalité de la vie et des pulsions. Comme si Evergon voulait prendre tout l’art, jouir de toutes les représentations non pas en tant que spectateur, mais en tant qu’acteur. La réappropriation postmoderne à son paroxysme.
Jusqu’au 5 août
À la Galerie Trois Points
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