POINT DE FUITE
Faisons le pari, un instant, que l’horizon s’efface. Que le monde ne soit plus borné à notre regard. Qu’il n’y ait plus de frontière entre ciel et terre. Qu’il n’y ait plus de perte de vue possible. Aucune limite.
C’est un peu ce que nous propose Peter Krausz avec (Sans) Horizon. Peinture, photo et installation, tous les moyens sont bons pour situer l’homme dans son rapport au temps et à la perception qu’il a de la nature.
Pour certains, l’horizon n’est pas une limite puisqu’il s’ouvre à mesure que le regardeur avance. Il est un bout du monde perpétuellement en mouvement, le trait diaphane entre ce qui est vu et ce qui ne l’est pas. Mais l’horizon, comme toute frontière, se présente aussi comme un passage obligé entre les étapes d’un cycle: entre la vie et la mort, entre la mémoire et l’oubli, entre les saisons.
Être sans horizon, c’est aussi ne pas avoir de lendemain. C’est un regard froid qui ne sait plus fuir, qui n’arrive plus à se jeter au loin, endeuillé. Dans l’oeuvre photographique Suite roumaine, c’est l’homme qui regarde la mort en face comme s’il s’agissait d’une caméra.
S’il n’y a pas d’avenir, alors il n’y a pas de temps: la mémoire se fige dans l’instant. Or, n’étant nous-mêmes que de passage, nous n’échappons ni au temps, ni à ses ravages. C’est donc aussi du rapport de l’être à la mémoire dont il est question. Les saisons et les souvenirs sont classés comme de vieux livres dans des bibliothèques avec Landscape and Memory. Enfin, avec Le Chant de la terre 1 et 2, le paysage est morcelé, puis réinventé. Et seules ligatures entre le paysage et le deuil: 63 parcelles d’un ciel de plomb toujours sans horizon. (Jusqu’au 27 août)
SCULPTURES VÉGÉTALES
Avec Arborescence – Beauté et Paradoxes, Michel Campeau met en scène les formes sveltes, les tourbillons et les élans gracieux d’une nature qui fait pourtant sa place en milieu urbain, ses photographies s’inspirant des jardins communautaires organisés dans les grandes agglomérations. Paradoxes, donc, parce qu’on s’intéresse à la nature dans son inscription urbaine. Mais aussi parce qu’on trouve la beauté même dans la flétrissure et le dessèchement.
Le reflet sur un miroir au tain usé permet de voir la nature comme elle n’est jamais visible. photo: Michel Campeau |
En plus de ses images macrophotographiques, qui nous permettent de voir de près les noeuds et les détours qu’empruntent les plantes, présentant leur croissance comme une lente danse toute naturelle, l’artiste emploie différentes techniques pour nous les faire découvrir d’un oeil nouveau, les transformant en sculptures végétales. Entre autres, les jeux d’ombres et de reflets permettent de voir la nature comme elle n’est jamais visible.
Dans la série L’Ombre de soi, la silhouette tracée par l’ombre portée – et assumée – du photographe sur les plantes qu’il prend pour modèle le place dans un rapport à la fois protecteur et menaçant. Avec Campeau, l’homme se voit et se reconnaît dans la nature. La série La Nature invisible, entrelacée avec la précédente, montre aussi l’ombre des fleurs sur du papier, comme si elles se dessinaient d’elles-mêmes. Une ombre naturelle qui ne vit qu’un instant, se métamorphosant avec la course du soleil, soudainement immortalisée par le déclic de l’appareil. (Jusqu’au 3 septembre)