ATSA : Amnésie culturelle
L’ATSA (l’Action Terroriste Socialement Acceptable), fondée par Annie Roy et Pierre Allard, frappe encore. Ce collectif "occupe" plusieurs lieux du boulevard Saint-Laurent.
En tant que professeur dans un cégep, je suis toujours étonné par le fait que mes étudiants connaissent mal leur propre histoire nationale. Moi, fils de deux immigrants (qui, avouons-le, avaient peu de curiosité envers le Québec), je me retrouve bien souvent dans la position de celui qui raconte à ces jeunes gens l’histoire qu’ont vécue leurs parents ou grands-parents. Dans mes cours d’histoire de l’art, lorsque j’explique la situation sociopolitique qui encadrait les créateurs québécois au 20e siècle, mes élèves sont surpris par mes anecdotes, telle celle concernant le maire de Montréal, Camillien Houde, emprisonné de 1940 à 1944 en raison de son opposition à la conscription…
C’est donc avec grand intérêt que je vois certains artistes d’ici élaborer des interventions ayant un aspect historique. J’apprécie les créations de Raphaëlle de Groot qui a façonné, entre autres, une exposition sur le phénomène important et oublié de l’exploitation des aides ménagères à Montréal. J’aime aussi les réalisations de l’ATSA qui se sert parfois de l’histoire comme matériau de création.
La plus récente intervention de l’ATSA est des plus pertinente. Tout le long du boulevard Saint-Laurent (vous trouverez les adresses de ses interventions sur le site www.atsa.qc.ca), ce collectif d’artistes a installé une trentaine de panneaux, des FRAGs (fragments d’histoire). Vous y découvrirez une mine d’informations sur la vie sur la Main. En particulier, vous y lirez beaucoup de détails sur les industries de misère (majoritairement des manufactures de vêtements) qui étaient, et sont encore, installées sur cette artère économique. Ces FRAGs, remplis de détails judicieux, ont été réalisés avec la collaboration des historiens Pierre Anctil, Catherine Browne, Susan D. Bronson et Bernard Vallée. Vous y apprendrez beaucoup de choses sur des gens qui ont fait notre histoire et qui ont été trop souvent oubliés. Par exemple, au 4276 Saint-Laurent, un panneau vous parlera de la syndicaliste Léa Roback qui s’est battue avec succès en 1937 lors de la grève des ouvriers et ouvrières du vêtement pour dames.
Certains pourront reprocher à ces interventions de ne pas être assez de l’ordre de la création artistique, d’être avant tout du domaine de l’histoire. Mais s’il faut choisir entre l’art branché, très esthétisant et fait pour une classe bourgeoise, et cet art de la remémoration, mon choix ne sera pas difficile à faire.
Il ne faudrait pas croire toutefois que l’ATSA est tournée vers le passé. Bien au contraire. Si l’ATSA nous parle de notre histoire et de l’exploitation des ouvriers dans le passé, c’est pour mieux nous aider à réfléchir sur le présent. Lors du vernissage de l’événement, les artistes de l’ATSA distribuaient des brochures de la Coalition québécoise contre les ateliers de misère (www.ciso.qc.ca/ateliersdemisere). Cette coalition dénonce entre autres l’utilisation des enfants dans les sweatshops et les salaires de crève-la-faim que l’on ose donner aux travailleurs (28 cents de l’heure dans certains pays). Et ces abus ne se produisent pas uniquement dans le tiers-monde. Au Canada, on donne certes le salaire minimum aux ouvrières (majoritairement des immigrantes qui parlent mal le français et l’anglais et qui ne connaissent pas bien leurs droits), mais les conditions de travail de celles-ci sont souvent de piètre qualité.
Boulevard Saint-Laurent
Parcours permanent