Les Escales Improbables de Montréal : Ivresse des profondeurs

On devrait toujours être légèrement improbable, disait Oscar Wilde. Il est de ces événements condensés en quelques jours qui nous obnubilent complètement et dont, à peine sorti, on attend déjà avec impatience la venue l’an d’après. Les amateurs d’art, les chercheurs de sensations nouvelles et les curieux de tout acabit sont une fois encore conviés à venir flâner et se perdre à bon escient pendant deux jours au Vieux-Port de Montréal, qui accueille la troisième édition des Escales Improbables. De concerts impromptus en siestes musicales, de performances interactives en conversations philosophiques, d’installations en projections est composé ce voyage en forme de croisière de l’esprit qui propose une manière différente d’aborder l’art, fondée sur la déambulation et la rencontre.

Il s’agit de se laisser aller pendant quelques heures aux joies ludiques de l’exploration et de la découverte. Ne rien faire d’autre que voir, écouter et sentir, en des lieux où se rencontrent le rêve et la mémoire. Les artistes invités sont plasticiens, vidéastes, comédiens, performeurs, musiciens et écrivains. Ils ont construit leurs propositions artistiques en fonction du lieu et de sa charge symbolique. Cette année, 33 créateurs ont accepté l’invitation en créant des oeuvres souvent destinées expressément à la géographie du Vieux-Port. On nous expose, d’un point de vue différent, les méandres de ce dernier et ses zones intimes. Surtout, ne cherchez pas ici d’horaire détaillé.

LA MISE EN ESPACE

Face au fleuve, le Salon du ne rien faire nous accueille. Comme toutes les mises en espace conçues par Jean Bard (scénographie) et Geneviève Lizotte (conception visuelle) pour l’événement, celle-ci manifeste l’envie de jouer avec nos vues sur le fleuve et notre faculté de contemplation. Ainsi, à l’embouchure de la rue de la Commune sur le Quai King-Edward, on se donne du lest au fil d’Une étrange histoire d’amour, texte de l’auteure dramatique et romancière Lise Vaillancourt. Ce texte de fiction sera le fil conducteur de l’événement. Les 90 cadres de Stéphane Estèves, voyageur et photographe spécialisé en paysages urbains et naturels, sont un point marquant de la scénographie de cette version des Escales. Disposées au bord de l’eau, les oeuvres accompagnent l’observateur tout au long de son parcours et conduisent aux photos grand format d’Estèves de cargos accostés au bout du quai.

LES PERFORMANCES

Nous assistons notamment à la première venue au Canada de l’admirable auteur, metteur en scène et performeur français Jean Lambert-wild. En compagnie des artistes de la Coopérative 326, celui-ci poursuit sa série de 326 performances auxquelles il donne le nom de Calentures. La calenture, dans le vocabulaire de la médecine d’autrefois, désignait un délire parfois furieux dû à l’insolation dans les pays tropicaux et qui s’emparait parfois des marins, allant jusqu’à les pousser à se jeter à la mer. Parmi les quatre calentures présentées, il y a Faites-le taire, performance interactive mettant en jeu les spectateurs et le performeur dans une (très) vraie partie de jeu vidéo et Outside Memories from Inside, liée à une installation sonore symbolisant la mémoire auditive du personnage de Paillasse, bouffon de la commedia dell’arte. Jean Lambert-wild ne cesse d’incarner ce dernier à travers ses calentures, qu’il considère comme autant d’épreuves qui lui permettront de retrouver le personnage et de se réconcilier avec lui.

LES INSTALLATIONS

Le voyage nous mène ensuite dans des espaces intérieurs, comme dans le ventre d’un cargo pour y faire, sur trois étages, des rencontres déconcertantes. À travers leur Homme Oiseau enfermé dans son monolithe de métal, Les Passagers (Jean-Sébastien Baillat et Mathieu Bélanger) développent le thème de l’enfermement psychologique et de la transcendance du quotidien. L’installation sonore et visuelle Les Pas de l’eau, de la céramiste-sculpteure Marie A. Côte, du compositeur-percussionniste Ziya Tabassian et du compositeur Olivier Girouard, propose une méditation qui engage le spectateur au coeur de l’oeuvre dans une action concrète et plus complexe qu’il n’y paraît: passer. Face à la marina du quai, les quatre Escales Sonores conçues par Michel Smith, Christian Calon et Philippe Le Goff, avec la participation de l’accordéoniste Pascal Contet, aménagent des capsules qui invitent à la détente et à l’observation, faisant entendre au spectateur et auditeur assis sur son siège-vigie de petites voix venues de nulle part qui chuchotent les réminiscences d’un fleuve.

LES INTERVENTIONS MUSICALES, POÉTIQUES ET PHILOSOPHIQUES

En surplomb du Saint-Laurent, sur la terrasse des Siestes musicales, des DJs d’Espace Musique (Yves Bergeron, Claude Duhamel, Chantal Jolis et Diane Maheux) créent un espace de découverte et d’écoute. Le visiteur des Escales pourra croiser et, si ça lui chante, emboîter le pas à la fois allègre et nostalgique à la Fanfare Pourpour, composée de 17 musiciens. Geneviève Letarte, écrivaine et chanteuse, présente ses Miniatures, interventions minimalistes parfois parlées, parfois chantées. Tenez-vous pour dit qu’on pourra méditer sur le tout entre copains au Bar Philosophique, ouvert pendant toute la durée des Escales.

LES PROJECTIONS

Dernière manière d’injecter un peu d’invraisemblance supplémentaire ou d’augmenter la singularité de cette croisière: autour de la présentation de son film Olé?, Sandro Forte a choisi deux autres courts-métrages, Synchromy de Norman McLaren et Mouvement de lumière de Karl Lemieux, qui, chacun à sa manière, proposent un composite hypnotique liant le son à la lumière et au mouvement.

Chacune de ces deux journées sera conclue en beauté par la Fanfare Pourpour et Jean Lambert-wild proposant ensemble une performance désopilante, où il est question de l’enterrement du Paillasse et de l’importance de réussir au mieux sa sortie vers un autre monde… www.escalesimprobables.com

Les 2 et 3 septembre, de 14h à 19h
Au Quai du Vieux-Port et au Quai King-Edward
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