Mathieu Beauséjour : Quête de sens
Arts visuels

Mathieu Beauséjour : Quête de sens

Le Québécois Mathieu Beauséjour et le Français Alain Declercq interrogent les liens entre art et engagement. Terrorisme artistique en vue?

Après l’art moderne, qui fut si contestataire, l’art contemporain est-il devenu le complice du système capitaliste et du pouvoir dominants? L’art d’aujourd’hui sert-il majoritairement à réconforter les riches et à ne pas trop les faire penser? Devant des pièces de Jeff Koons, de Sam Taylor-Wood et de bien d’autres, on pourrait le croire. L’artiste Sean Scherer (qui expose ces jours-ci à la Galerie René Blouin) m’expliquait, lors de son vernissage, comment il avait espéré que l’art à New York devienne moins superficiel après le 11 septembre, mais, ajoute-t-il avec justesse, il le fut encore plus.

Heureusement, certains artistes tentent de résister au discours prédominant. C’est le cas de Mathieu Beauséjour et d’Alain Declercq, qui exposent au même moment au Centre VOX.

LA PAROLE À TOUS?

Beauséjour n’a plus à être vraiment présenté. Rappelons tout de même comment, durant les années 90, il fut reconnu grâce à son utilisation des billets de banque. Il y imprimait un slogan, "Survival Virus de Survie", qui soulignait comment l’argent est comme une maladie qui bouffe notre quotidien. Par la suite, il a multiplié les interventions artistico-politiques, dont certaines ayant des connotations anarchistes, tendance politique qu’il ne renie pas. On se souviendra, entre autres, de sa superbe installation chez Skol en 2001, où il élaborait une sorte de panthéon aux grands hommes anarchistes.

Chez VOX, il nous propose une intervention qui ne manque pas de mordant, mais qui s’énonce avec une ambiguïté certaine. Est-ce celle de notre époque ou celle de l’artiste? Dans son intervention intitulée 1 1/2 Métro Côte-des-Neiges, vous verrez une situation presque ridicule. Dans une salle toute blanche et bleue (rappel des couleurs du drapeau québécois), un vidéo donne à voir une femme en train de lire à haute voix. Cette Française, à l’accent très reconnaissable, y effectue la lecture du manifeste du FLQ de 1970, mais en anglais! Voilà qui ne manque pas de surprendre. Que souhaite dire l’artiste? Le spectateur pourrait croire qu’il s’agit d’une critique du fait que les revendications linguistiques (et politiques) d’une autre époque sont en train de disparaître. À Montréal, l’usage de la langue française diminue rapidement et de nos jours, même les Français ne semblent plus croire au pouvoir de leur langue… Rappelons-nous tous de la ridicule expression "ticketing" d’Arielle Dombasle à l’émission Tout le monde en parle

Mais le texte de présentation de cette expo interprète les choses différemment. Le critique Bernard Schütze y voit plutôt une "impopulaire question, à savoir si la quête nationale, de plus en plus fondée sur le confort et orientée vers l’État, a encore quelque lien que ce soit avec la libération en général". Voilà une lecture qui pourrait nous lancer dans un long débat qui ne manque pas d’intérêt, même s’il me semble un peu biaisé (l’idée d’une révolution sans passer par un État qui en défendrait la pérennité des valeurs pourrait aussi sembler une autre belle utopie). Mais cette interprétation est-elle si présente dans cette intervention? Beauséjour, qui veut effectuer un "terrorisme sémiotique", n’est-il pas plutôt en train de dire comment certains discours contestataires ont du mal à se faire entendre dans nos "démocraties des riches" (je cite le manifeste du FLQ)?

LA PREUVE PAR L’IMAGE

L’ensemble des pièces exposées par le Français Alain Declercq semble un peu plus tranchant et clair. Celui-ci y interroge principalement la montée d’une certaine folie collective après les attentats de 2001. Sommes-nous tous en train de devenir paranos, cinglés, apeurés? Les attentats du 11 septembre ont-ils bouleversé nos valeurs (entre autres démocratiques)? Dans ce contexte, quel est le rôle de l’art contemporain? Declercq, qui a monté une installation traitant du terrorisme, s’est vu inquiéter par la brigade antiterroriste française… Son atelier a même été perquisitionné. Ses vidéos où il met en scène un être (fictif), Mike, agent secret, ne montrent-ils pas des images traitant d’Al-Qaïda? Le fait d’être artiste ne serait-il pas en fait une superbe couverture pour des activités terroristes?

Le vidéo de Declercq est très pertinent. Il nous montre des images où il ne se passe pas grand-chose, mais où, du coup, nous pouvons laisser libre cours à notre imagination. Au moment où la manipulation étatique est très présente (qu’en est-il de ces images prouvant que l’Irak avait des armes de destruction massive?), où les thèses de complot partent dans tous les sens (certains vont jusqu’à dire que Bush a commandé ces attentats et qu’il n’y a jamais eu d’avion qui s’est écrasé sur le Pentagone…), voilà une exposition qui nous confronte aux dérapages religieux, politiques, policiers et même intellectuels de notre époque.

Jusqu’au 21 octobre
Au Centre VOX
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