Susan Hiller : Histoire hanteuse
Arts visuels

Susan Hiller : Histoire hanteuse

Susan Hiller interroge la mémoire collective à travers les témoignages de gens ayant vu des ovnis ou ayant frôlé la mort… Cette fois-ci, elle interpelle l’histoire allemande.

"Tout mon travail traite de fantômes. Ils sont invisibles pour la plupart des gens, mais parfaitement visibles pour certains." C’est ainsi que l’artiste londonienne (née aux États-Unis) Susan Hiller définit son travail. Et il faut dire que l’oeuvre qu’elle nous présente au Centre Saidye Bronfman est tout à fait dans cet esprit.

Dans The J. Street Project, elle nous montre (entre autres par des photos et un vidéo) les 303 lieux qui en Allemagne portent encore la trace d’une présence juive dans leur dénomination. Pourtant, en 1938, presque tous ces endroits furent débaptisés, "germanisés" (étrange expression qui, bien sûr, fait fi du fait que les Juifs étaient des citoyens allemands) par le gouvernement nazi. Mais après la guerre, certains de ces sites ont retrouvé leur identité. C’est cette trace d’histoire qu’Hiller interroge. Ces noms de lieux deviennent comme des monuments locaux à la mémoire des Juifs massacrés, mais aussi de tous ceux qui ont dû fuir leur pays. Voilà une intéressante idée d’oeuvre, mais prend-elle forme d’une manière marquante?

Il a souvent été dit (même par des théoriciens du mouvement) qu’en art conceptuel, l’idée prime sur l’objet au point où sa réalisation ne serait pas si importante. Je ne suis guère de cet avis. Certes, dans l’art conceptuel, l’artiste souligne avec plus de force la visée intellectuelle de l’oeuvre d’art (visée qui a toujours existé). Mais la présentation matérielle de cette idée a aussi son importance. En voici un bon exemple. Car si c’est une chose que d’entendre parler de ces lieux qui ont changé d’appellation, c’en est une autre de les voir en photo et en vidéo (à défaut de pouvoir les visiter pour de vrai). Avec ces images, il y a une dimension supplémentaire qui s’ajoute, une présence plus troublante. On saisit alors encore mieux comment ces lieux sont silencieux par rapport à l’Histoire dramatique qu’ils symbolisent.

Mais il y a plus. L’art conceptuel montre l’écart qui existe entre représentation et réalité, entre l’idée d’une chose et le vécu bien concret symbolisé par ce concept. Hiller souligne comment le devoir de mémoire doit passer par une incarnation du passé dans le présent afin qu’il puisse conserver toute sa prégnance. www.susanhiller.org

Jusqu’au 2 novembre
Au Centre Saidye Bronfman
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