Karilee Fuglem : Densité spatiale
Arts visuels

Karilee Fuglem : Densité spatiale

Avec presque rien, Karilee Fuglem a investi magistralement l’espace pourtant imposant de la Fonderie Darling. Dialogues entre espace, mémoire collective et spectateur.

Je dois dire que j’ai souvent eu des réserves à l’égard des oeuvres de Karilee Fuglem. J’avais beaucoup de sympathie pour son idée de rendre visible ce qui est invisible, mais le résultat visuel me semblait plus ou moins convaincant. Cette artiste qui travaille sur le presque rien (par exemple, cette installation composée de petites pastilles en acétate tremblotantes placées au bout de fils, ou bien ces photos montrant de simples mousses de sécheuses) ne m’a pas toujours semblé pousser assez loin ses interventions.

J’apprécie mieux son travail lorsqu’il investit plus totalement, plus magistralement l’espace d’exposition. Il en était ainsi lors de la Manif d’art 2 à Québec en 2003, où toute une salle se trouvait remplie de sacs en plastique bougeant, réagissant au gré des mouvements des spectateurs. Une oeuvre qui permettait aux visiteurs de prendre conscience que l’art est toujours un peu en interaction avec son public. Une métaphore illustrant que l’oeuvre change de sens (et presque de forme) selon l’interprétation que lui donne l’amateur d’art.

Je préfère les interventions de Fuglem lorsque celle-ci fait un retour plus exact vers le minimalisme, forme d’art qui était, rappelons-le, non pas simplement une esthétique pauvre et épurée, mais une monstration de l’espace de présentation et du rapport que le visiteur entretient avec cet espace (et avec l’art). Dans le cas de son intervention à la galerie Quartier éphémère, Fuglem renoue plus clairement avec cet esprit-là. Je m’explique.

L’immense salle de l’ancienne fonderie Darling, avec son plafond grandiose, est remplie de fils de nylon suspendus et tombant presque au sol, comme si une fine pluie avait été matérialisée, cristallisée en ces lieux. À cela s’ajoutent plusieurs petits éléments qui scintillent dans l’espace: ici et là, plusieurs miroirs suspendus, quelques flaques d’eau encadrées dans des moules sur le sol, quelques étiquettes en plastique (sur lesquelles sont écrits des noms de lieux et de personnes ayant marqué l’histoire du Vieux-Montréal, où se trouve la galerie).

En déambulant dans la fonderie, le visiteur aura du mal à voir ces fils. Il en accrochera avec sa tête ou avec ses épaules, comme s’il s’agissait de fils d’araignée dans un bâtiment abandonné. Mais à la différence des fils d’araignée, ceux-ci, en nylon, glissent sur nos corps. Il faut être attentif à leur présence, ainsi qu’aux divers petits éléments supplémentaires qui sont parsemés dans cette toile translucide. Tout comme dans la vie, une multitude de détails se dévoileront à ceux qui seront attentifs. Sur ces étiquettes de plastique, ceux-ci liront une histoire de Montréal trop souvent oubliée. Dans cette pluie matérialisée, ils verront une référence à l’histoire de ce bâtiment longtemps abandonné et dans lequel il pleuvait avant que la galerie Quartier éphémère ne s’y installe.

Fuglem signe ici un travail très senti sur la mémoire. Dans ce lieu, son travail acquiert une dimension supérieure.

Jusqu’au 19 novembre
À Quartier éphémère
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