Rodney Graham : Où sont les femmes?
L’artiste vancouvérois Rodney Graham présente ses plus récentes oeuvres au Musée d’art contemporain. Une précieuse satire du monde et de nos identités.
Voici une exposition qui aurait pu avoir le sous-titre suivant: Comment devenir un homme. En effet, plusieurs des oeuvres récentes de Rodney Graham tournent autour de la notion de masculinité et des mythes véhiculés par cette identité virile autant dans le cinéma ou la publicité que dans l’univers de la musique ou même dans le milieu de l’art contemporain. Tout cela est bien sûr énoncé avec un humour caustique, comme Graham sait le faire depuis maintenant 30 ans. Caricaturiste corrosif de notre monde contemporain, parfois simplement pince-sans-rire, Graham sait interroger des images identitaires, dont celle de la masculinité, jusqu’à les faire éclater. Quelques exemples.
Dans How I Became a Ramblin’ Man, Graham traite de l’image du cow-boy au cinéma. Dans ce qui est presque un court métrage (présenté en boucle), le spectateur verra dans un paysage pittoresque un homme sur son cheval se promenant lentement, comme s’il savait ce qu’il fait. Il descend de son équidé (un étalon?), joue de la guitare, enfourche sa monture et reprend son chemin. Cela tient presque d’une ancienne publicité pour les cigarettes Marlboro. Être un homme, un vrai, c’est être sans attache… Cela se poursuit dans Paradoxical Western Scene, mise en abyme infinie, image qui donne à voir un homme (dangereux?), l’artiste en costume de cow-boy, passant devant un avis de recherche le montrant lui-même marchant devant un avis de recherche… On croirait un écho au philosophe grec Diogène qui se promenait en plein jour, une lanterne à la main, à la recherche d’un homme (un vrai).
Plus loin, dans Loudhailer, c’est la représentation du policier (de la Gendarmerie royale) qui est prise à partie. Un officier, équipé de son beau costume, semble prisonnier de son image, incapable de faire autre chose que de donner des ordres. Même s’il paraît proche de la côte (et de nous), même s’il porte un gilet de sauvetage, il semble captif de son hydravion placé sur un lac dans un paysage canadien très cliché. Au lieu de se mouiller, à l’aide d’un mégaphone, il demande de l’aide, nous appelant à aller chercher un canot de sauvetage… Et puis, dans A Glass of Beer, l’artiste se met en scène cette fois comme dans une pub d’alcool, confortablement assis, une pinte de bière à la main. L’homme se doit d’être cool.
Plus amusante encore est cette moustiquaire refaite en argent (Screen Door). C’est une réplique d’une porte jamais utilisée par Elvis Presley (car elle fut retirée de Graceland quand la vedette y emménagea). Néanmoins, après sa mort, elle fut vendue 14 000 $, comme relique du célèbre chanteur. Sommes-nous ridicules au point de fétichiser n’importe quel objet ayant des liens avec des symboles de masculinité? Freud parlerait-il d’envie du pénis?
ENCORE UN ART IRONIQUE?
Et ce n’est pas nécessairement l’ironie qui est ici toujours utilisée, comme chez la majorité des artistes contemporains. Cette figure de langage (qui consiste à vouloir faire entendre le contraire de ce que l’on dit) est souvent remplacée par la satire, par une critique plus acide et plus engagée de notre monde. L’oeuvre Allegory of Folly, qui fait référence à un célèbre texte de l’humaniste Érasme et à son ton très satirique, est certainement une des clés pour mieux comprendre le travail de Graham.
Une autre pièce satirique est cette parodie des interventions des années 60-70 (à la Fluxus). Dans Lobbing Potatoes at a Gong, l’artiste s’y montre en train de réaliser une gestuelle forte, mais un peu vide de sens: il lance des patates sur un gong à l’autre bout d’une pièce! Mais que voulez-vous, en art contemporain, on aime le geste fort et viril…
UN MILIEU ENCORE TRÈS MASCULIN?
Je profiterai de cette exposition (excellente), qui questionne la notion d’identité et en particulier notre rapport à la masculinité, pour interroger la programmation du MAC. Les visiteurs auront eux aussi certainement remarqué comment dans cette institution, à la différence de Diogène, on ne cherche pas désespérément un homme… Pascal Grandmaison, Brian Jungen et Samuel Roy-Bois, qui succédèrent cet été à Anselm Kiefer, ont laissé leur place à Neo Rauch et Rodney Graham cet automne. Ceux-ci, à leur tour, seront remplacés par Jean-Pierre Gauthier, Jérôme Fortin et Guy Ben-Ner au début de 2007, puis par Bruce Nauman à l’été… Même une brillante présentation comme celle-ci ne peut faire oublier que de très bonnes artistes femmes pourraient, elles aussi, avoir des solos au MAC (et pas seulement des participations à des expos collectives). Mais j’imagine que ce n’est que partie remise et que la programmation 2008-2009 sera totalement féminine…
Jusqu’au 7 janvier
Au Musée d’art contemporain
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