Anne-Louis Girodet : Histoires de l’art
Anne-Louis Girodet (1767-1824) est l’objet d’une grande rétrospective au Musée des beaux-arts. Artiste aux visages multiples.
Le peintre Girodet était-il queer? Était-il gay, bi ou plus simplement hétéro? Son biographe Pierre-Alexandre Coupin laisse planer un doute. À propos de sa "sensibilité ardente" et de ses aventures secrètes, il écrit: "je respecterai sa réserve [celle de Girodet], et je n’essaierai pas de soulever un voile que lui-même a posé avec respect sur ces jouissances dont le mystère est un des premiers charmes". Nous ne saurons jamais avec certitude ce qu’il en fut, puisque, comme l’explique le même historien, le peintre avait demandé que ses lettres personnelles soient brûlées après sa mort… Disons tout de même qu’on ne lui connaît qu’une seule véritable maîtresse, Julie Candeille, qui dans ses lettres l’appelle "Ma chère Anne" (sic). Il refusa de l’épouser, se prétextant impuissant. Puis, cette grande amie devenant insistante ("Eh qu’importe mon ami! C’est l’union de nos âmes que nous devons rechercher."), il se déroba encore, alléguant avoir un trop mauvais caractère…
Mais l’orientation sexuelle de Girodet n’a en fait pas tant d’importance. Ce qui en a plus est de savoir si son art était si étrange et si contestataire. Un art queer? Pour le commissaire de l’expo, Sylvain Bellenger, Girodet fut un artiste "provocateur". Pour Guy Cogeval, directeur du Musée des beaux-arts, cet artiste a toujours recherché "le maniérisme, l’anormal, l’étrange, le bizarre". Issu d’une tradition académique très pesante, élève du célèbre Jacques-Louis David, grand défenseur de la perfection gréco-romaine, Girodet aurait donc élaboré un art de la marge, du hors-norme, un art qui "trouve sa beauté chez les Indiens, chez les Noirs d’Haïti et chez les Turcs", ajoute Cogeval. Et certes, Girodet exécute à la fin du 18e siècle le premier portrait d’un noir qui ne soit pas celui d’un esclave, mais celui d’un homme en position de pouvoir, celui du député, le citoyen Belley. Puis, il a en effet réalisé des portraits d’Orientaux qui ne manquent pas de panache. Et son Endymion a des allures d’hermaphrodite ou d’androgyne qui troublent et séduisent le spectateur. Mais son Amérindien Chactas, dépeint dans son plus célèbre tableau montrant Atala au tombeau, ou son Indien (de 1807), me semblent être seulement des statues grecques classiques un peu basanées… Girodet a aussi fait des tableaux bien académiques, tel ce Napoléon en costume impérial.
Comme Bellenger le précisait en conférence, Girodet est "le peintre de l’ambiguïté". Son oeuvre complexe est totalement tiraillée. Parfois, Girodet sait montrer une grande originalité, parfois, il fait dans une préciosité presque écoeurante (comme on le dirait d’un gâteau trop sucré). On a du mal à croire que c’est le même artiste qui peint d’une part des tableaux merveilleux comme Le Sommeil d’Endymion, La Révolte du Caire (absente de l’expo car intransportable, mais heureusement évoquée par un beau film) ou Une Scène de Déluge et, d’autre part, des toiles aussi sirupeuses et insupportables que La Danaé ou bien Pygmalion amoureux de sa statue.
Abigail Salomon-Godeau, dans un texte du catalogue intitulé "Endymion était-il gay?", pose une question très importante. Elle explique comment la peinture de Girodet ne doit pas nous amener à une histoire de l’art homosexuelle (en faisant sortir du placard des artistes ayant eu, tel Michel-Ange, des relations sexuelles avec des hommes), mais plutôt à une remise en question d’une certaine conception "extrêmement discutable de l’auteur". Il y aurait beaucoup à dire sur le sujet. Car comme le dit Bellenger, Girodet "ouvre sur une autre époque", celle de l’artiste dandy, celle plus moderne et encore très actuelle où l’on va assister "au sacre et au culte de l’artiste". Car "s’il en est fini de Dieu, du Roi et du pouvoir absolu", l’artiste semble incarner une dimension supérieure.
Une expo impeccablement montée, qui marquera l’histoire des études sur l’art de Girodet et qui soulève de très pertinentes questions.
Jusqu’au 21 janvier 2007
Au Musée des beaux-arts
Voir calendrier Arts visuels
À voir si vous aimez
La peinture néoclassique de Jacques-Louis David
L’art des surréalistes