Matthieu Brouillard : Autopsie de la souffrance
Analyser l’oeuvre de Matthieu Brouillard, et plus particulièrement son exposition Les Cadavres anticipés, c’est vouloir donner un sens à des réalités qu’on voudrait oublier.
Matthieu Brouillard est de ceux qui ne photographient pas les fleurs dans les champs, mais les corps dans le sang. L’artiste doit, pense-t-on, faire preuve d’un sang-froid incommensurable afin d’être en mesure de photographier l’horreur organique qu’il nous présente au centre de diffusion et de production de la photographie VU. Cependant, il n’en est rien du tout, car tout n’est que théâtralité et artificialité dans l’oeuvre de ce jeune artiste originaire des arts visuels de la réputée faculté de l’UQAM – où il complète actuellement un doctorat sur les relations qu’entretiennent, justement, les photographes et le monde du théâtre. Et il réussit très bien à mettre en scène des personnages troublants sans pour autant tomber dans le mauvais goût.
Or, même si on a effectivement de la difficulté à regarder les sinistres images qu’on nous propose, d’une part parce que les personnages nous troublent et, d’autre part, parce qu’ils ne nous ressemblent incontestablement pas, on accepte finalement de les regarder puisqu’en définitive, nous sommes, et ce, jusqu’à preuve du contraire, des êtres doués de commisération, de compassion, d’empathie et de sympathie. On ne peut, pour être conséquent envers soi-même, rester indifférent devant les atrocités vécues, même théâtralement, par les clichés dénaturalisés de nos semblables.
Voir à travers les fenêtres de l’intimité, ce n’est pas toujours chose facile – pudeur oblige -, surtout lorsque cette intimité nous place devant des êtres humains brisés par la vie, qui habitent à l’intérieur de lieux contigus, malfamés, délabrés. On en vient presque à respirer l’odeur du cramoisi tellement la fiction s’approche dangereusement du réel. Regarder ce tirage numérique, falsifié par la main aguerrie de cet universitaire qu’on gagne à connaître en tant qu’artiste, c’est faire une expérience nécessairement déstabilisante, une expérience douloureuse, certes, mais ô combien salutaire! Autrement dit, cette exposition se veut l’expression d’un espoir. Espoir d’une vie meilleure pour les enfermés, les anormaux, les exclus, les solitudes familières.
Que ce soit par le réalisme d’Un soldat tombant, inspiré par un personnage secondaire de la toile La Résurrection du peintre Grünewald, ou par la détresse d’Homme au crâne suintant, qui semble prendre son pouls, ou par la distorsion spatiale du Marcheur, et la perte d’équilibre qui s’ensuit, toutes les peintures photographiques, en noir et blanc évidemment, sont le travail d’un photographe qui n’a pas fini de faire parler de lui, ou, devrions-nous plutôt dire, d’un homme qui pourrait bien changer le cours des choses.
Jusqu’au 12 novembre
Au centre de diffusion et de production de la photographie VU
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