Patrick Bérubé : L’envers du décor
Patrick Bérubé semble occuper la petite salle du centre Circa avec presque rien… Mais il y a anguille sous roche.
Pour le grand public, la création est généralement un mystère. Les oeuvres montrées dans l’espace trop souvent blanc, lumineux et très organisé de la galerie (ou, encore pire, du musée) ne parlent guère de la réalité plus obscure de l’atelier. Il fut une époque où, tous les ans, l’événement "Les ateliers s’exposent" donnait l’occasion de montrer l’art sous un autre angle en permettant d’aller dans le studio de l’artiste. Ce n’est pas que le public avait ainsi accès à la vérité de la création, mais ces espaces plus privés instauraient un autre rapport d’échelle avec l’oeuvre.
Depuis la Modernité, bien des artistes ont tenté de s’approprier l’espace d’exposition très normalisé. Dans cet esprit, Patrick Bérubé a bâti une exposition où il semble dévoiler l’envers du milieu de l’art. C’est comme s’il nous offrait de voir les coulisses de la galerie d’art.
La petite salle de Circa est exhibée presque vide. Une photo montrant l’artiste se cachant derrière une étagère y est installée. Le visiteur est presque déçu. Mais une porte, laissée ouverte, et qui n’existe pas habituellement dans cette salle, semble nous inviter à aller voir ce qui s’y passe. Enfin on va connaître ce qui se trame dans les murs de la galerie… Là, la lumière intense de la salle d’exposition laisse place à un obscur petit local, sorte de placard de rangement ou d’entretien. Vous y retrouverez un évier avec de la vaisselle sale, des livres, un lit (avec un nounours), des boîtes en carton, des espaces de rangement et puis un passage dans le sol, sorte de tunnel menant on ne sait où… Qu’est-ce que ce lieu? Une chambre d’enfants, le studio d’un célibataire un peu pauvre et un peu gamin, un laboratoire pour y faire des expériences sur un être humain en captivité? Une ambiance un peu secrète et sombre y plane, atmosphère renforcée par (le son de) la pluie qui bat contre une fenêtre.
Le visiteur pourra voir dans ce dispositif une sorte de portrait de l’artiste, de son univers d’inspiration. Vous verrez comment, encore de nos jours, il s’inspire de certaines lectures comme La Guerre du faux d’Umberto Eco et L’Invention du quotidien de Michel de Certeau, deux livres incontournables (et qu’on ne me dise pas qu’Eco est dépassé tout comme on a clamé à la va-vite la mort de Barthes il y a quelque temps!). Le livre de Certeau prend encore plus de sens quand on sait comment les artistes actuels interrogent la quotidienneté. Mais on verra aussi dans ce dispositif une lecture du statut économique du créateur qui encore de nos jours doit créer dans des conditions minimales.
Voici une exposition qui est dans la veine de celle montée par BGL chez Optica au printemps dernier, où le trio de Québec exhibait aussi les ficelles du milieu de l’art. Cette oeuvre de Bérubé intitulée Dispositif incertain: refuge ou prison? parle bien sûr de plus de choses que de l’acte créateur. Comme l’écrit l’artiste, cette expo traite des mécanismes que l’on met en place pour se protéger du monde, pour le tenir à distance.
À ma connaissance, c’est la troisième fois que Bérubé utilise le placard pour parler de ce que nous cachons. C’est une des plus concluantes.
Jusqu’au 11 novembre
Au Centre Circa
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À lire/voir/écouter si vous aimez
Le trio de Québec BGL
Le film Being John Malkovich