Maria Eichhorn : Aux limites du réel
Arts visuels

Maria Eichhorn : Aux limites du réel

L’artiste allemande Maria Eichhorn est à l’affiche chez VOX avec une oeuvre intelligente. Elle y traite de censure, de liberté d’expression, de droits d’auteur…

Bien qu’elle bénéficie d’une très bonne réputation en Europe, son travail a été très peu montré en Amérique du Nord. C’est d’ailleurs sa première expo au Canada. L’artiste berlinoise Maria Eichhorn (née en 1962) a pourtant participé à la Documenta 11 à Cassel en 2002 et son oeuvre fut présentée de Paris à Londres, en passant par Istanbul et Séville. Et je dois dire tout mon intérêt, grandissant, pour ce type d’art conceptuel.

Ce genre de création n’est pas une panacée absolue aux travers d’un milieu de l’art postmoderne placé trop souvent sous la férule de l’argent. Néanmoins, il est toujours sympathique de voir dans cette attitude artistique, où l’objet est presque secondaire, une résistance au marché de l’art et à la dictature du fric. Heichhorn réalise des interventions presque sociologiques qui permettent de réfléchir à la place de l’art et de la culture dans nos sociétés, à la façon dont l’art travaille les limites sociales et économiques. Quelques exemples.

Pour son projet Prohibited Imports, elle a envoyé des boîtes de livres de Berlin à Tokyo afin de tester la souplesse des douanes japonaises. Elle nous présente ces ouvrages, dont un de photographies de l’artiste Mapplethorpe qui a été censuré. En particulier, l’image d’un sexe masculin (au repos) y fut altérée… Mais qui a peur à ce point d’un pénis montré dans un livre? À voir cette page grattée, raturée, effacée, on se sent du côté des progressistes prêts à pourchasser les moralistes, "bitophobes" de tout acabit… Mais Eichhorn est une petite maligne. Elle nous oblige aussi à interroger nos propres limites.

Dans son installation Film Lexicon of Sexual Practices, elle nous propose de voir de courts films subtilement gênants. Une accueillante technicienne, qui procédera à la manipulation du matériel, vous proposera de choisir entre sept titres: Léchage de téton, Léchage d’oreille, French Kiss, La Morsure d’amour, Les Yeux, La Bouche, Le Cunnilingus. Une fois votre choix effectué, vous pourrez, pendant trois minutes, voir sur le mur de la galerie, avec les autres visiteurs, votre sélection… Rares sont ceux qui demandent le cunnilingus. Certains s’offusqueront peut-être et croiront que les locaux de VOX sont redevenus une porcherie du sexe (cet espace faisait anciennement partie de ce qu’on appelle joliment un "complexe de divertissements", avec arcade et peep-shows!). Mais les clients des peep-shows ne se rendront pas compte qu’ils se sont trompés de porte! Eichhorn questionne astucieusement la limite entre espace public et espace privé.

Que l’on ne croie pas qu’Eichhorn ne parle que de sexe. Elle nous offre aussi des oeuvres audio où elle discute avec des artistes (Daniel Buren, Adrian Piper et Lawrence Weiner) à propos des droits d’auteur. Un peu plus loin, elle documente son intervention à Istanbul, où elle a installé, sur une place publique, un panneau (qui fut censuré) où elle invitait des groupes de gauche à s’exprimer.

Un art qui teste judicieusement les limites du monde.

Jusqu’au 16 décembre
Au Centre de l’image contemporaine VOX
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