Annie Pootoogook : Réseau parallèle
Arts visuels

Annie Pootoogook : Réseau parallèle

Annie Pootoogook est la récipiendaire de l’important prix Sobey. La gagnante et les quatre autres finalistes sont à l’affiche du Musée des beaux-arts.

Il faut plus d’expositions comme celle-ci. Il est très enrichissant de pouvoir voir et comparer l’art contemporain qui se fait au pays (découpé, non sans raison, en cinq grands réseaux: région atlantique, Québec, Ontario, les Prairies et le Nord, Côte-Ouest).

Ce n’est pas que ce pays possède véritablement une identité commune (pas plus artistique que politique). Bien au contraire. À visiter cette expo, on s’aperçoit encore plus que ces régions constituent des réseaux hermétiques. Le public et même les critiques d’ici ne connaissent pas nécessairement bien les cinq finalistes, qui furent peu ou pas présentés au Québec. Ils ne le furent pas davantage dans le ROC (Rest of Canada). S’il n’y a pas une esthétique canadienne collective, il y a peut-être, par défaut, une nécessité commune, celle de ne pas se laisser bouffer par le marché américain…

Lors de ma visite, je me suis donc demandé qui j’aurais choisi comme gagnant pour ce prix pancanadien existant depuis 2002 (accompagné d’un montant de 50 000 dollars). Qui a un travail sérieux sans être à la remorque de l’esthétique dominante actuelle? Dans les années précédentes, les candidats et les gagnants furent de haut niveau. Ce prix, récompensant un artiste canadien de moins de 40 ans, a souligné en 2004 le travail de Jean-Pierre Gauthier et en 2002 celui de Brian Jungen (qui a une importante carrière ici et à l’étranger).

Cette année, qui retenir? Les toiles de Mathew Reichertz m’apparaissent peu convaincantes. Dans ses tableaux, montrant des hommes se battant, j’ai trop vu une reprise de scènes de violence utilisées par Robert Longo. Le travail conceptuel de Janice Kerbel m’a semblé inégal. Drôles et intelligents sont ses projets de cambriolages de banques (l’art contre le capital?), mais plus faibles ses projets d’arrangements de plantes… Le trio BGL me fascine toujours autant, avec ici leur faux entrepôt, constitué de restes d’installations. Une réflexion sur le concept de prix, sur la possibilité d’évaluer les traces symboliques laissées par les créations passées des artistes, sorte de magma flou auquel il faut donner un sens. J’ai aussi adoré l’installation de Steven Shearer et son "anthropologie de la poétique des banlieues". Un grand artiste, qu’il faut revoir à Montréal. Et les dessins d’Annie Pootoogook, faussement enfantins, ne manquent pas de panache. Dans ceux-ci, elle ne fait pas un art inuit traditionnel, mais propose une vision très actuelle du monde.

Entre ces trois importantes candidatures, je ne suis pas sûr que Pootoogook eût été mon choix, et ce, malgré la qualité de son travail. Cette année, l’attribution du prix Sobey relève-t-elle, un peu, d’une prise de position politique pour un art engagé (montrant sans hypocrisie la vie souvent difficile des Inuits)? Peut-être, mais pourquoi pas? L’esthétique internationale est en grande partie dominée par les goûts d’une classe très riche qui veut un art décoratif, très mode et très in. En Occident, l’importance grandissante des grandes foires (en train de supplanter le concept de biennale) souligne bien cette triste tendance. Au Canada et au Québec (où le marché de l’art est plus mince), nos choix peuvent heureusement échapper à cette façon de faire.

Jusqu’au 7 janvier
Au Musée des beaux-arts
Voir calendrier Arts visuels

À voir si vous aimez
Les dessins néo-surréalistes de Marcel Dzama
Les dessins sur la culture afro-américaine de Laylah Ali