Virginie Chrétien : Le Mobile immobile
De l’entraînement l’effet, exposition de Virginie Chrétien, a été prolongée jusqu’au 15 décembre à la galerie Langage Plus. Regard à la ronde sur cet univers créatif où tout est à la fois mobile et immobile.
Avec ce projet, résultat d’une résidence vécue au mois de novembre à Langage Plus, Virginie Chrétien aborde la mobilité; la mobilité du corps pour lui-même, qui se meut et est sans cesse en devenir, mais aussi à travers l’espace et le territoire, l’arpentant en y laissant son empreinte.
Non seulement Chrétien se réapproprie-t-elle l’espace de la galerie, mais elle réinvente l’espace et sa portée, débordant littéralement de la pièce, forçant une expansion de l’univers d’exposition, lui créant un au-delà presque physique comme on le voit peu fréquemment. Disposant des objets tronqués à la surface des murs, elle réussit à détourner notre perception, qui a le réflexe de recréer leur partie manquante, nous inculquant cette impression qu’ils se continuent au-delà du possible.
Par différents moyens, elle ouvre aussi l’espace sur le souvenir et la signifiance. Avec elle, nous survolons la région et sa mémoire, enjambons la rivière Saguenay, sommes bercés par le lac Saint-Jean, tournant le dos à la confluence, alors que partout autour sont colligées des images fortes de notre histoire qui ont un écho certain dans notre for intérieur, interpellant notre mémoire collective.
La disproportion des échelles – la chaise berçante par rapport au cours d’eau qu’elle surplombe, les athlètes en aplat et la drave – permet au visiteur de survoler, l’oblige à s’approcher et à concentrer son attention, à devenir lui-même mobile parmi les oeuvres figées. Le territoire réinventé passe alors du tout au tout, s’arrêtant "entre le point A et le point B". L’individu non seulement habite le territoire, mais est habité par lui, l’incarnant littéralement.
Le travail de Chrétien est aussi un espace-temps. Pour l’artiste, le temps est meuble. Elle le travaille, l’arrête, l’étire et le replie, ce qui s’inscrit entre autres dans la discrète poésie qui s’insinue parmi les oeuvres, comme un langage inévitable, envahissant l’espace sans l’étouffer.
Ses oeuvres prennent leur source dans une mobilité passée, traces tangibles de la vie dans toute sa simplicité et dans sa grandeur effacée. Ainsi les articles de sport, débordant l’espace de la galerie, qui rappellent les gestes répétitifs de l’athlète, acquièrent un au-delà sensible et poétique par leur réinsertion dans son univers artistique. "Le bougé fixe des détails à moitié", inscrit l’artiste parmi les objets choisis. Comme si chaque geste tatouait sur l’histoire sa trace indélébile, "encrant" profondément l’individu dans l’évolution de sa collectivité.
Car rien n’est jamais terminé, même après une fin quelconque: "la descente n’est pas achevée", et sur cet élan, il est toujours possible de se rendre plus loin, de modifier sa trajectoire. Du geste à l’acte, passant par l’action et jusqu’à l’histoire, c’est dans la vie de tous les jours que l’individu s’inscrit dans le devenir de sa collectivité. Et pourtant la mémoire, mouvement vers le passé, conserve toute son importance pour l’artiste: "Je suis une nostalgie mouvante de ce qui nous a mené plus loin", écrit-elle à la première personne, se posant comme une incarnation assumée de cet aller-retour mnémonique.