Carl Bouchard et Martin Dufrasne : Mâles à deux tranchants
Carl Bouchard et Martin Dufrasne, deux artistes influents de la scène culturelle saguenéenne, participent actuellement à une exposition collective rassemblée par le commissaire Carl Johnson au Musée régional de Rimouski.
Ces quelques oeuvres rétrospectives du travail du duo Carl Bouchard et Martin Dufrasne nous donnent à voir le visage comme le seuil de l’identité, cette partie de nous reconnaissable. Les différents arrangements photographiques proposés présentent aussi le rapport de force sous-jacent à toute relation, montrant de différentes façons l’inévitable interinfluence identitaire entre les individus. Entrer en relation avec l’autre, n’est-ce pas s’exposer à son influence? Et soi-même agir sur lui?
Avec Des élisions méfiez-vous (…) (1998), les corps des artistes sont l’un à l’autre liés dans une proximité toute nue, exposés au regard d’une tierce partie (on reconnaît l’artiste Guy Blackburn, agissant comme témoin). On assiste en différé à un tranchant face-à-face, alors que les deux acolytes se tiennent solidement par les cheveux et, à l’aide d’une lame, se rasent la gorge. Dans le triptyque Tellement différente (1998), la relation se résume plutôt à une réunion défensive, les deux individus étant liés dos à dos, la gorge offerte. Le duo ainsi abandonné, prêt au sacrifice dans cette intimité violée, se voit alors exposé plutôt à une force extérieure. Le seuil de l’identité des protagonistes subit alors une influence extrinsèque, incarnée par l’artiste Claudine Cotton, qui les défigure – au sens où elle modifie la façon dont on se les figure en coupant leur barbe. Enfin, la série photographique L’Amour-propre : Instrument de test no 5 (2004), montre un tête-à-tête guillotiné par une glace immense, les deux corps abandonnés de l’autre côté du miroir. Ces corps affalés à ras de terre, décapités, semblent morts, impossibles à reconnaître.
Si les images proposées par cette rétrospective de Bouchard et Dufrasne sont fortes, leur association pour l’exposition aux oeuvres de Kelly Mark et de Murielle Dupuis-Larose donne à ces dernières un aspect de supplétif incongru. Le commissaire Carl Johnson aurait gagné à privilégier l’unité plutôt que la diversité.