Chrysalide : Face à la mort
Avec Chrysalide, l’artiste engagée Mylène Gervais s’adoucit. Si le sujet de l’expo fait encore réagir – elle parle de la mort -, elle propose des images beaucoup moins crues et plus poétiques qu’à l’habitude.
"Aujourd’hui, je trouve qu’on n’a plus le droit de vivre la mort. On l’aseptise. Est-ce parce qu’on en a tellement peur qu’on la dénie autant? Les gens ne vivent plus leurs deuils, ils n’ont plus le droit de pleurer leurs morts. Je trouve qu’il y a un malaise épouvantable face à la mort; on ne veut plus la vivre, on ne veut plus la voir, on ne veut plus être confronté à elle. Et moi, je voulais que les gens y soient confrontés parce que, oui, c’est la seule certitude qu’on a", lance d’entrée de jeu Mylène Gervais.
L’artiste, bien qu’elle emprunte un ton plus poétique qu’à l’accoutumée, nous sert sa réflexion comme un coup de poing. Pour la première partie de Chrysalide, elle a suspendu des sacs de morgue au bout de crochets de boucher, des sacs sur lesquels sont imprimés des corps de femmes, d’hommes et d’enfants. Elle veut ainsi démontrer que la mort ne fait pas de discrimination; elle touche tout le monde. "Au départ, j’étais allée dans les créneaux que j’avais déjà touchés. J’avais imprimé un corps très famélique, qui représentait la famine, un autre corps qui avait été torturé, pour la guerre… Mais je me suis dit que, nous, les Nord-Américains, ça ne nous rejoignait pas. Et je voulais créer un sentiment de proximité." Un poème de Carl Lacharité, aussi placé sur un sac de morgue, ajoute au propos. Il se révèle d’ailleurs le point de départ de cette exposition. "La chrysalide et le texte que Carl a écrit viennent de l’abécédaire qu’on a fait pour le 25e anniversaire de Presse Papier. C’est vraiment là où j’ai débuté la production. Carl et moi, on était jumelés ensemble, et toute ma réflexion autour de la mort est partie de là. Nous, comme artiste, on devait piger une lettre, choisir un mot et imposer notre mot au poète avec qui on travaillait. Et moi, j’ai pigé le "m". J’ai regardé plein de mots et j’ai choisi que ça allait être la mort."
La seconde section de l’expo baigne dans l’obscurité. Là, une vingtaine de sacs de morgue reposent sur le plancher. Avec le bruit sourd de la ventilation, on imagine facilement les corps inertes qui se cachent dans les macabres enveloppes de plastique. "Je voulais garder le côté obscur pour faire ressentir une émotion et je trouvais qu’avec la lumière, on la ressentait moins, précise-t-elle. Je me mettais dans la peau de quelqu’un qui doit aller identifier un corps quand il y a une catastrophe. Tu te promènes parmi des centaines de corps et tu te dis: "Est-ce que c’est le prochain que je vais découvrir?"" Cependant, Mylène Gervais ne bascule pas dans la tristesse. Elle laisse une note positive, qui s’exprime par l’impression d’une chrysalide sur l’un des cadavres. "La vie est plus forte que tout! Tu vois que j’ai plein d’espoir cette fois-ci!" sourit-elle.
Jusqu’au 15 février
À la galerie R3
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