François Lacasse : L’intelligente séduction
François Lacasse fait un joli pari, celui d’un art abstrait agréable et qui néanmoins fait réfléchir.
Me revoici, encore une fois, apostrophé par les tableaux de François Lacasse. Devant certaines toiles, j’ai le sentiment qu’il est arrivé à trouver une manière totalement originale et perspicace de faire de l’art; devant quelques-unes, le doute surgit et j’ai l’impression qu’il frôle un peu trop le décoratif, le simple plaisir réconfortant des sens.
Mais je sais surtout comment par le passé j’ai eu, à de multiples reprises, la conviction très profonde que Lacasse est un excellent peintre. Tout comme moi, le public se rappellera certainement comment, en 2002, il avait présenté une excellente mini-rétrospective de son oeuvre au Musée d’art contemporain. Elle s’achevait par une réaffirmation de la pertinence de la peinture abstraite sans tomber dans une redite postmoderne et facile d’artistes du 20e siècle. Et je sais qu’en fait, à chacune de ses expositions, j’ai l’impression qu’il m’oblige à repenser certains aspects intouchables du discours sur la peinture, qu’il me force à questionner des éléments importants de l’histoire picturale. Il me plonge dans un malaise bien pertinent, il me force à revoir des oeuvres, à relire des textes…
L’aspect très décoratif de certains de ses tableaux (aspect encore, sinon plus présent dans cette expo d’une quinzaine de tableaux qui a lieu ces jours-ci chez René Blouin) est un des éléments importants qui m’interpellent dans son art.
Avant que de jeter la pierre à Lacasse pour son utilisation de la peinture d’une manière très séductrice, il serait bon de revoir et de relire certains pans de la peinture abstraite. Car il faut reconnaître que bien des oeuvres abstraites ont eu un aspect décoratif indéniable. La couleur qui s’énonce avant tout comme couleur, la texture qui dit avant tout la matérialité du matériau pictural, voilà des éléments qui se révèlent porteurs d’une puissance de séduction plastique pour le regard. C’est ce que nous avons pu saisir il y a quelques années (en 2001, si ma mémoire est bonne) lors du réaménagement des collections d’arts décoratifs au Musée des beaux-arts. Là, le mobilier jouxtait des tableaux, dont ceux du peintre (très abstrait) Guido Molinari. Le travail de Molinari devenait du coup un reflet de son époque, et en particulier de la révolution colorée mise en place par la jeune génération des années 60 et 70. La peinture abstraite fut si souvent rejetée par le public comme étant laide, que nous avons peut-être oublié comment elle fut en fait très souvent belle, un jeu merveilleux sur la couleur.
Certes, aux 19e et 20e siècles, bien des peintres (les abstraits en particulier) ont fait dans le rugueux, dans la texture pauvre, dans le refus de la joliesse, dans l’appropriation du sale et même du crotté. Il fut une époque où la toile non apprêtée, laissée vierge et rêche, la peinture industrielle ou granuleuse contestaient une esthétique bourgeoise… Quant à lui, Lacasse fait de la peinture abstraite un cheval de Troie capable de séduire pour mieux infiltrer son message.
J’ai souvent dit apprécier davantage les tableaux de Lacasse quand ceux-ci sont plus épurés et moins colorés. Étrangement, les oeuvres qui fonctionnent le mieux dans cette expo sont celles qui sont les plus exubérantes, les plus surchargées.
Jusqu’au 17 février
À la Galerie René Blouin
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