Thomas Grondin : Mensonges urbains
Thomas Grondin n’y va pas par quatre chemins: qu’on le veuille ou non, notre ville se transforme. Le regard aiguisé de l’artiste scrute, documente et fonde Gatineau de l’an 2051.
Avec son exposition intitulée Gatineau Fiction, Thomas Grondin invite le public à reconquérir son environnement et à repenser les paradigmes dictant "l’évolution" du paysage urbain. Les routes et immeubles de Gatineau envahissent le Centre d’exposition Art-image ou, plutôt, ce qu’il reste de cette ville… en 2051.
UN ARTISTE DANS LA VILLE
Le regard intense et l’esprit toujours à l’affût d’idées nouvelles, Thomas Grondin est un réel passionné. L’art contemporain et conceptuel, les grandes questions existentielles, la place de l’artiste dans notre société jusqu’aux anecdotes anodines de la vie en général, tout semble allumer cet artiste à l’esprit vif et au sens de l’humour mordant.
Thomas Grondin a étudié le droit et les arts visuels et poursuit des études de maîtrise en histoire de l’art à l’Université Carleton. Prolifique artiste pluridisciplinaire de la performance, de la vidéo, des arts visuels et des installations immersives, vous l’avez peut-être déjà croisé lors de vos visites au Musée des beaux-arts du Canada, car il y travaille comme guide depuis plusieurs années. Il a présenté de nombreux projets au Québec et en Ontario, notamment à AXENÉO7, où il a été commissaire d’événements tels que Le millénaire est mort, il faut le manger, en 2000, lors duquel il a réalisé une performance dans une épicerie. Il y déplaçait les articles des étagères pour les disposer au sol, créant des barrières entravant la route des clients. Ses performances surprennent et dérangent mais sans trop choquer, du moins pas délibérément.
Résidant de Gatineau (secteur Hull) depuis l’âge de 13 ans et habitant la maison familiale ayant appartenu à sa grand-mère, Thomas Grondin vit un profond attachement pour ce territoire qu’il a vu se transformer: démolitions d’édifices anciens, élaboration de nouveaux espaces publics, quartiers en construction et création d’un système d’autoroutes pouvant satisfaire l’abondante migration des populations de la campagne vers le centre urbain, sans oublier la récente fusion municipale. Toutes ces altérations transforment à tout jamais la définition même du territoire.
C’est lors d’un voyage en Argentine que Grondin a réalisé l’universalité de son propos. Il raconte qu’au début de sa carrière, il tentait "de trouver un sujet universel. J’avais besoin de comprendre mon univers, et c’est lors de discussions avec des personnes marginales qui semblaient tout à fait saisir mes idées concernant la société et la vie urbaine que j’ai compris qu’une expérience très personnelle pouvait trouver un écho ailleurs". C’est aussi à ce moment qu’il a pris la décision ferme de vivre à Gatineau et de ne pas briguer les grands centres comme Montréal ou Toronto.
LE DÉDALE DE LA CITÉ
À pied ou à vélo, l’artiste parcourt la ville et documente les modifications apportées au paysage urbain. Cinq années auront permis d’accumuler plus de 3000 photographies faisant foi de cette lente mais considérable métamorphose. S’ajoutent au processus de nombreuses entrevues, des comptes rendus, des notes et des dessins constituant une imposante archive sagement ordonnée et servant de matière à réflexion: "Même si tout a changé, Rome est encore Rome. Pourquoi? Qu’est-ce qui constitue l’identité d’une ville?" demande Grondin. C’est alors qu’il entreprend de réaliser une ville fictive, une ville "qui fonctionne sur papier", un portrait chimérique et imparfait qui souligne les absurdités et oblige le visiteur à regarder ce qu’il ne veut pas voir.
La première version de l’exposition s’est déroulée à Granby en 2001, lors d’une résidence d’artiste au Centre d’essai en art actuel 3e impérial. Les archives ont alors été dévoilées d’une manière plus classique en étalant les documents sous verre, à la bibliothèque municipale. Utilisant des photographies de lieux publics très fréquentés et donc connus du public, Grondin s’est employé à supprimer l’espace occupé par de nouveaux édifices pour ensuite superposer l’image de l’édifice qui s’y trouvait auparavant. Le hic, c’est que l’espace blanc où figurait le bâtiment effacé est souvent plus large que l’espace occupé par l’ancienne structure, et il reste donc inévitablement un contour blanc qui ne peut être ignoré. "Dans Photoshop, on peut effacer un édifice, mais le ciel qu’il cachait ne réapparaît pas, et donc il reste un grand trou blanc. On ne peut pas ramener le passé", explique l’artiste.
Le projet actuel est très différent et propose au visiteur une immersion complète dans cette ville réinterprétée. Le format des images a éclaté et l’observateur se retrouve en face d’un paysage épuré et éthéré, mesurant plusieurs mètres de longueur. Les murs de la moitié de la salle d’exposition sont couverts de ces images presque blanches et trop éclairées, créant un espace calme et serein mais inatteignable, car un large ruban jaune ceinture celui-ci, bloquant l’accès. En contrepartie, un fouillis d’images et d’objets s’empare du reste de la galerie. D’un côté l’austérité, la sobriété, le silence et de l’autre le chaos, le superflus et le rythme imposé par l’agencement des oeuvres. Le public fera partie intégrante de l’installation et de nombreux stratagèmes feront en sorte que celle-ci ne sera jamais totalement statique grâce aux déplacements et mouvements dans la salle.
Gatineau: une ville fictive universelle? Comme Alice dans Alice au pays des merveilles, traverserez-vous le miroir?
Jusqu’au 4 mars 2007
Au Centre d’exposition Art-image
Vernissage: le vendredi 19 janvier, de 18h à 20h
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