Claire Savoie et Steve Reinke : Corps social
Arts visuels

Claire Savoie et Steve Reinke : Corps social

Claire Savoie et Steve Reinke nous parlent, à travers leurs vidéos, des liens entre espace public et espace privé. Résistance aux discours dominants.

Elle est l’une de nos artistes importantes. Depuis un peu plus de dix ans, Claire Savoie produit de surprenantes oeuvres qui sont de l’ordre de l’art conceptuel tout en ayant une présence physique indéniable. On pourrait dire que Savoie travaille justement sur ce moment de basculement où nous croyons presque saisir le monde qui nous entoure, mais où un doute surgit dans notre esprit, instant où l’un de nos sens semble faillir. Le public se souviendra, par exemple, de son oeuvre Fiction (vox), montrant des mains touchant, presque compulsivement, des murs et des fenêtres que pourtant nous pouvions voir clairement… Savoie y parlait de la distance entre voir et toucher, comme s’il fallait vérifier ce que l’oeil nous dit.

Ces jours-ci, pour son intervention chez VOX, elle a renouvelé ce dialogue présence/absence en le faisant pivoter sur une opposition intime/public. À travers une vingtaine de petits moniteurs vidéo, chacun placé avec son casque d’écoute dans son propre petit cabinet de lecture (on se croirait presque dans une salle pour apprendre une langue étrangère), Savoie nous propose une forme de journal vidéo. Elle y mélange souvent des nouvelles du monde (mort de James Brown, guerre au Liban…) avec des pensées personnelles qui défilent un peu comme des flashs sur les chaînes télé d’information en continu. Cela donne souvent des réflexions très justes, comme cette capsule où l’annonce de la vente d’un tableau de Riopelle, à Toronto, pour plus de 1 million de dollars est accompagnée de la réflexion suivante: "Avoir besoin d’un regard extérieur"…

Le système d’exposition instaure des parcours jamais identiques. En effet, Savoie n’a pas nécessairement indiqué un début ou une fin. Chacun ira de sa propre déambulation. Chacun pourra s’approprier l’année de souvenirs et de pensées que Savoie a ainsi mise en scène. Néanmoins, ce dispositif semble un peu forcé. J’aurais aimé que Savoie trouve une manière plus fluide de permettre au spectateur d’entrer dans ce journal vidéo. Le fait d’avoir continuellement à enlever et remettre les écouteurs casse le rapport d’intimité que le ton des vidéos pourtant développe. Cela gâche souvent le plaisir de la visite.

Signalons que Savoie est accompagnée du réputé artiste et écrivain Steve Reinke. Parmi ses vidéos, je retiendrai en particulier The Fallen, montrant rapidement des portraits de soldats tués en Irak. Ces soldats apparaissent souriants, le regard intense… Le terme flou et générique de "guerre" retrouve ici toute sa tragique réalité. La simplicité du dispositif est totalement désarmante. Ces images sont d’autant plus bouleversantes que la rapidité de leur monstration semble nous dire comment ces individus seront vite occultés de notre mémoire collective, enterrés physiquement et symboliquement. Accompagné de la chanson très rythmée, presque dansante, I’m Going With You Babe (du chanteur, guitariste et compositeur de blues R.L. Burnside), le montage devient encore plus dramatique. J’ai aussi adoré le vidéo Sad Disco Fantasia où le narrateur nous dit, entre autres choses, comment "vivre à Los Angeles est comme être en vacances ou dans le coma"…

Vision très acide et très juste de notre monde.

Jusqu’au 3 mars
Au Centre de l’image contemporaine VOX
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