La collection Loto-Québec : Miser sur l'art
Arts visuels

La collection Loto-Québec : Miser sur l’art

La collection Loto-Québec nous présente 38 oeuvres achetées sur une période de presque 30 ans. Un parcours très conservateur.

Depuis 1980, Loto-Québec souhaite "stimuler la création québécoise" en achetant de l’art contemporain. Près de 3700 oeuvres ont été ainsi acquises grâce à un investissement de un centième de 1 % du chiffre d’affaires de la société d’État. Voilà une décision bien louable. Du coup, près de mille artistes se retrouvent représentés dans cette collection, Loto-Québec ayant injecté, entre 1986 et 2003, 3,8 millions de dollars dans l’art d’ici.

En 2005, Loto-Québec a ouvert, dans ses locaux sur la rue Sherbrooke, un "Espace création" qui permet au public d’apprécier ce qu’elle a acheté. On a pu y voir des expos de Tom Hopkins, Pierre Gauvreau… Ces jours-ci, le visiteur y trouvera des pièces acquises durant les 27 dernières années. De quoi se faire une idée de ce que la collection recèle.

Disons-le sans ambages, le bilan est inégal. Il y a bien sûr des incontournables, des créations de haut niveau réalisées par de grands noms: vous y retrouverez des pièces de Jean-Paul Riopelle, Betty Goodwin, Guido Molinari, Alfred Pellan… Et certaines de ces oeuvres ne manquent pas de panache. Mais à côté de ces créations d’artistes importants de notre histoire de l’art, il y a plusieurs pièces très moyennes, d’une facture facile. Je ne veux pas blesser d’artistes, mais citons comme exemple le tableau de Jacques Payette montrant une jeune femme assise sur un canapé, qui serait plus à sa place dans une maison bourgeoise que dans un lieu de diffusion. Voilà un artiste qui fait un art plus que convenu. Et ce n’est pas le seul… C’est bien dommage et cela gâche le plaisir de l’ensemble. On se demande où sont les artistes de 30, 40 ou 50 ans qui sont pourtant des incontournables de notre art. Cette collection semble marquée par l’art classé (majoritairement abstrait) et par un art réaliste trop souvent de bon ton.

Cela se gâte encore plus lorsque l’on regarde la liste complète des créateurs sélectionnés au cours des ans par Loto-Québec (liste disponible sur Internet). Malgré la présence de beaucoup d’artistes peu connus et, disons-le, souvent très moyens, on notera l’absence de bien des artistes majeurs, jeunes ou moins jeunes (et pas tous si chers). Si l’on s’en tient seulement à la peinture, au dessin ou aux oeuvres sur papier, on relève des absences surprenantes, celles par exemple de Pierre Dorion, François Lacasse, Massimo Guerrera, Stéphane La Rue, Mathieu Beauséjour… Par ailleurs, pourquoi aussi peu de photographies? Où sont Raymonde April, Isabelle Hayeur, Emmanuelle Léonard, Lynn Cohen, Clara Gutsche… Et je ne parle pas d’artistes faisant des installations ou des vidéos. Qu’une collection d’entreprise veuille se centrer sur des oeuvres accrochables ne me dérange pas nécessairement. Là n’est pas le principal problème.

Certes, on peut trouver intéressant que Loto-Québec ait voulu soutenir de jeunes artistes, et ce même si ces créateurs n’ont pas toujours tenu promesse. Néanmoins, le processus de sélection des oeuvres serait à revoir. Car même si une présélection est faite par le conservateur de cette collection, "une des particularités de la collection Loto-Québec est que ce sont les membres du personnel qui collaborent directement au processus d’acquisition des oeuvres. Un jury de trois employés procède au choix final des oeuvres"…

Il est bien étrange de demander à des gens qui s’y connaissent peu en art d’effectuer un tel choix pour une collection injectant autant d’argent! L’art n’est pas qu’affaire de bon goût. Il ne s’agit pas ici de remettre en question la pertinence pour Loto-Québec d’avoir une collection, ni de contester le but premier d’aider majoritairement de jeunes créateurs, mais il s’agit de demander à cette collection d’avoir des critères de sélection plus élevés. Étant donné les sommes d’argent impliquées, nous aimerions que dans 30 ans, cet important ensemble d’oeuvres puisse être une de nos fiertés collectives.

Jusqu’au 11 mars
À l’Espace création
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