Mathieu Valade : Sésame, ouvre-toi
L’installation sculpturale Ergoesthétique de Mathieu Valade, présentée au centre en art actuel Le Lieu, donne parfois le vertige, amène à réfléchir, surprend et innove. À ouvrir avec parcimonie!
Lors de sa célèbre conférence à la Sorbonne (1959), Yves Klein – peintre avant-gardiste de l’après-guerre -, voulant montrer comment l’art peut être immatériel, nous raconte une histoire: "invité à exposer (…), je me rends à Anvers et, au moment du vernissage, à l’emplacement qui m’était réservé dans la salle d’exposition d’Hessenhuis, au lieu d’y placer un tableau ou un objet tangible et visible quelconque, je prononce d’une voix forte devant le public ces paroles empruntées à Gaston Bachelard: "D’abord, il n’y a rien, ensuite il y a un rien profond, puis une profondeur bleue." L’organisateur belge de cette exposition me demande alors où se trouve mon oeuvre. Je réponds: "Là, là où je parle en ce moment. – Et quel en est le prix, de cette oeuvre? – Un kilo d’or, un lingot d’or pur d’un kilo me suffira."" Le rapport avec l’oeuvre de Mathieu Valade?
Comme Klein, Mathieu Valade (jeune artiste résidant à Québec, il possède une maîtrise en arts visuels de l’Université Laval et est chargé de cours à l’UQAC; il a déjà plusieurs expositions solos et collectives à son actif) poursuit aujourd’hui la démarche entreprise il y a un demi-siècle par ce maître à penser de la nouvelle génération des artistes qui font de l’art contemporain. Or, c’est surtout à l’aide de son ingéniosité et de son installation inusitée que Valade arrive "à faire des petites installations dans de grosses", nous a-t-il confié, comme s’il voulait rendre immatériel, comme s’il voulait nous camoufler un trésor caché. C’est ce qui fait en sorte qu’on est en droit de se demander, comme se l’était demandé l’organisateur belge concernant l’oeuvre de Klein, ce que cinq armoires alignées soigneusement, apparemment dépourvues de valeur esthétique, ont à voir avec l’art?
Eh bien, il ne suffit que d’ouvrir les tiroirs (25 en tout) de ces armoires pour vivre "une expérience purement esthétique", d’après les dires de l’artiste. Autrement dit, selon qu’on choisit tel ou tel tiroir, on se trouve devant une vision du monde, une expérience esthétique différente, certes minimaliste, comme le voulait Valade: "Je voulais faire une oeuvre qui joue sur le formalisme, une oeuvre qui s’apparente au minimalisme. Et quand on ouvre les tiroirs, on a effectivement un rapport plus intime avec ce qui se trouve à l’intérieur."
Fait à noter, Mathieu Valade a invité cinq artistes afin qu’ils expriment, eux aussi, leur perception de la réalité et leur conception de l’art à l’intérieur d’un tiroir de chacune des armoires: Luc Baillargeot (et son Jeu de billes), Anabelle Cyz (avec son Micro-machins), Véronique Lépine (Sans titre), Colin Ponthot (Hommage à Hugues Le Kaine) et Amélie-Laurence Fortin (avec L’épée).
Jusqu’au 25 février
Au centre en art actuel Le Lieu
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CARNET
DE L’ESTAMPE AU RECYCLAGE
Cynthia Dinan-Mitchelle – qui vit et travaille à Québec – présente au centre de production en estampe Engramme une exposition colorée: Vitamine C. Mélangeant couture, estampe et art de la table, son oeuvre est à la frontière des genres: sérigraphie, art graphique, illustration. Elle nous donne ici, dans un décor tout droit sorti d’une publicité des années 60, un espace nous rappelant ce que nous sommes. Jusqu’au 18 février.
DE LA DERNIERE A LA PREMIERE CHANCE
Il ne faut pas manquer d’aller voir Datascapes de Joan Fontcuberta, artiste de réputation internationale originaire de Barcelone, au centre de diffusion et de production de la photographie VU jusqu’au 18 février prochain. L’artiste ne reviendra pas à Québec avant un bon moment, et cette exposition vaut vraiment le déplacement, autant pour ses Orogenèses que pour ses Googlegrammes. Et tant qu’à être dans le coin, pourquoi ne pas aller prendre une bouchée au café L’Abraham-Martin du complexe Méduse pour y déguster du regard les peintures abstraites de Marie Rioux, propriétaire de l’établissement?