Cindy Dumais : Crash
Cindy Dumais déploie dans tous les sens un univers particulier qui ne respecte aucune limite. Elle nous transporte avec elle sur les chemins de l’égarement poétique de son oeuvre.
Même si la plupart des gens éprouvent une fascination presque morbide devant le spectacle de voitures embouties, baignées par l’éclairage distrayant de gyrophares, l’accident n’en demeure pas moins une inspiration inusitée. C’est tout de même cette idée qui a mené Cindy Dumais sur des chemins de traverse, lui permettant d’emprunter des voies originales qu’elle a elle-même tracées.
C’est rien de moins qu’une réinscription des codes de la route qu’elle propose dans son exposition à Espace Virtuel, nous invitant à suivre sur sa trace (et par la voie de contournement) ce qui reste des témoignages recueillis auprès de quatre accidentés. Avec Excédez II: Les Accidentés, elle nous invite à la suivre dans une marge volontairement profanée.
En perpétuel déplacement, évoluant dans l’espace et dans le temps à tombeau ouvert, le corps risque gros. Présenté comme un véhicule, carrossé par l’artiste, il devient objet qui à son tour peut être accidenté, gardant les traces intimes du traumatisme, puis malgré tout guéri, "réparé", faisant preuve de cette extraordinaire capacité d’adaptation dont la vie est seule à véritablement maîtriser le secret.
Les oeuvres de Dumais se répondent d’une salle à l’autre; on a fait violence au mur qui reçoit aussi l’art comme percutant, le transperçant, le vidant de sa poussière de gypse et de son isolant. Certains des plâtres de la première salle, moulés à partir de trousses de premiers soins, sont liés aux corps des personnes photographiées puis thermoformées dans la deuxième, comme si ces derniers gardaient une attache à l’événement de leur guérison. La sangle de sûreté, montrant cette relation qui pourrait être assimilée à la mémoire, rappelle cette ligne blanche tracée sur le bitume qui est invariablement violée lors des accidents – piste suggérée par la peinture de Dumais, représentant un camion cube blanc chevauchant cette frontière. Les quatre corps remodelés par l’artiste ont aussi été transpercés, l’art étant vécu comme un accident – ou l’accident vécu comme un art -, les marquant comme un heurt qui les aurait ouverts et laissés béants.
L’accident, conséquence possible des dangers du déplacement, résulte d’une perte de contrôle qu’on reconnaît entre autres dans une vidéo où l’artiste s’est présentée en double dans le même espace. Cette dualité dans l’autoreprésentation nous la montre se regardant elle-même ou s’ignorant, devenant détachée, ou même aliénée au point de se frapper contre le mur dans une collision aveugle. Le corps semble doué d’une présence abstraite, effet particulièrement saisissant permis par la projection de l’image sur de véritables objets, à mi-chemin entre le réel et l’imaginaire.
Et à tout cet univers d’une blancheur chirurgicale répond un percutant ouvrage de poésie, Chute, une oeuvre à la fois pleine et aérée qui donne l’impression de plonger dans l’acte de création brute de l’artiste, suivant ses ratures et ses inspirations subites, ses élans imparfaits et l’urgence de ses croquis. Les mots y tombent et s’entrechoquent comme autant de pertes de contrôle possibles et assumées.
Une exposition qui tient la route. Une publication qui refuse tout sens unique.
Jusqu’au 25 février
À Espace Virtuel
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