Claude Simard : Mort ou vif
Claude Simard se joue de la mort pour mieux aborder sa propre vie et les souvenirs qu’elle lui laisse. Au seuil de l’intimité, son exposition recense des oeuvres sombres, parcelles de mémoire empreintes d’une étonnante sensibilité.
Comprendre qu’on commence à mourir dès la naissance. Que dès le premier souffle, notre corps se bat contre une fatalité qui le vaincra inexorablement. Qu’il est oxydé, grugé, soumis à cet incontournable processus. S’il existe une façon de calmer le vertige de cette impermanence, c’est sans doute en fixant le souvenir, avec une photo, un dessin, une installation. En fait, dès qu’on circonscrit un être, peu importe le moyen utilisé, il semble se figer, cesser de mourir.
L’aspect muséal de certaines oeuvres présentées par Claude Simard à la galerie Séquence donne l’impression de documenter une vie, la sienne, consignant des moments forts de son enfance. Entre autres, le dessin lui permet de laisser des traces de sa mémoire. Ressurgissent ainsi des moments qui, par leur répétition ou l’émotion forte qu’ils ont suscitée, ont marqué l’artiste – la prière du soir, la fête foraine, autant de souvenirs indélébiles. Et soudainement, la résurrection de tous ces instants rappelés dans le même espace les place dans un rapport complexe et touchant.
LA MORT COMME MATÉRIAU
Dans des boîtes de plexiglas, des univers étranges sont recréés, paysages obscurs, à la fois invitants et repoussants. Les maquettes ainsi protégées, comme si elles étaient des souvenirs qu’il faut à tout prix préserver, montrent des objets couverts par un matériau mort; échelle ou branches mortes et sèches, couvertes par des mouches et des abeilles, par des nattes de fillettes enrubannées. Grâce à l’artiste, le matériau mort sert ainsi à donner une nouvelle vie, à fixer les choses pour qu’elles ne sombrent pas dans l’oubli.
Comme les mouches qui tapissent les objets, les souvenirs s’accumulent et recouvrent les êtres et les lieux qui ont ponctué notre vie. De la même façon, les boules conçues en fines couches de papier de plomb ont été associées par l’artiste à ses propres parents. Le souvenir de nos morts ne les rend-il pas plus grands que nature?
Partout autour, des objets restent malgré l’empreinte du temps, mais les êtres disparaissent. Et s’il est possible de faire subsister quelque chose d’eux, la perte se fait toujours cruellement sentir. D’où la réaction de plusieurs en voyant le chat naturalisé de Simard, une autoreprésentation calme et intouchable. Ce chat mort se tient à l’écart de ce qui rappelle un confessionnal – un enclos grillagé et ouvert où l’on déversait naguère les sombres accès de son esprit, les gestes répréhensibles et malgré tout posés, pour les évacuer de notre mémoire, Dieu devenant le salvateur trou noir de l’oubli.
Une exposition profonde et troublante, montrant toute la fragilité d’un homme qui refuse de mourir comme disparaissent des souvenirs.
Jusqu’au 18 mars
À Séquence
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