Maurice Denis : Moderne et après
Arts visuels

Maurice Denis : Moderne et après

La rétrospective Maurice Denis débute au Musée des beaux-arts. Après Paris, nous allons nous aussi pouvoir reconsidérer l’oeuvre d’un artiste un peu oublié.

Il y a plusieurs Maurice Denis. Bien sûr, comme les organisateurs de l’exposition l’expliquaient en conférence de presse, celui-ci a exercé plusieurs activités. Il a été peintre, dessinateur, illustrateur de livres, théoricien de l’art… Soit. Mais il y a plus que cela. Pour schématiser, il y a un Denis moderne et un autre classique frôlant souvent l’académisme (juste un peu renouvelé). Et il ne s’agit pas ici d’opposer simplement ses oeuvres décoratives (plus traditionnelles) à celles qui échapperaient à cette catégorie (assez floue).

L’ensemble que Denis a créé pour sa chambre est bien plus qu’ornemental et montre clairement que l’art décoratif peut produire des recherches plastiques riches. En fait, nous pouvons départager la carrière de Denis en deux, et cela même si plusieurs oeuvres résistent à cette systématisation. Il y a eu le peintre moderne, appartenant au mouvement symboliste du groupe des Nabis (prophètes, en hébreu), travaillant dans la dernière décennie du 19e siècle (en gros de 1890 à 1897). Et puis, il y a eu le peintre d’après, faisant lentement marche arrière, s’enfonçant dans la route du retour à l’ordre que Renoir (un des artistes aimés des Nabis) avait lui-même prise quelques années plus tôt. Il y a d’une part le peintre avant-gardiste qui en 1890, alors qu’il n’a pas vingt ans, écrit cette phrase célèbre qui pourrait servir de devise à tout l’art moderne: "Se rappeler qu’un tableau – avant d’être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote – est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées". Mais il y a d’autre part un artiste ayant tempéré, freiné ses élans modernes. Comme le disait la conservatrice au Musée d’Orsay Sylvie Patry, Maurice Denis s’est, par exemple, opposé publiquement à l’art abstrait et aux peintres fauves (tel Matisse).

SE PERDRE EN ITALIE

Denis a des points communs avec Renoir. Certaines des femmes peintes par le premier trouveraient très bien leur place dans l’art du second. Et puis, tout comme Renoir, qui avait très fortement infléchi sa création vers une forme plus conservatrice après son séjour en Italie en 1881 (où il a admiré la peinture de Raphaël), Denis, après son voyage en Italie en 1898 (où il a été lui aussi très marqué par Raphaël), a développé un art plastiquement plus conservateur. Et tout comme le Renoir de la jeunesse ne vaut pas celui de la maturité, le Denis du 20e siècle égale rarement celui du siècle précédent.

Ce constat effectué, je me dois tout de même de remarquer que Denis a eu des moments de grâce après sa période nabie. Au 20e siècle, Denis a su parfois éviter ce classicisme de bon ton qui enveloppe trop souvent ses oeuvres. Les paysages exposés dans une des dernières salles prouvent cela. Une des qualités de cette expo est d’ailleurs de donner une place importante à ces tableaux. Les vues de Paestum, Spolète et Plougrescant (de 1937) en sont de bons exemples. En conférence, la petite-fille de l’artiste, Claire Denis, a montré des dessins de paysages urbains que Denis a réalisés lors de son voyage à New York. Ils étaient d’une grande richesse plastique. J’aurais aimé en retrouver dans l’expo.

Voici une rétrospective qu’il faut avant tout voir pour les oeuvres nabies de Denis. Un des plus beaux tableaux (jamais présenté de son vivant), Taches de soleil sur la terrasse (de 1890), fait penser à Clyfford Still.

Il n’est pas étonnant que notre postmodernité, qui aime un art plus narratif et intimiste, se penche sur cette oeuvre un peu vite oubliée. Néanmoins, à la sortie de cette expo (impeccablement montée), je ne me sens guère capable de voir en Denis un peintre de la trempe de Vuillard ou de Bonnard, qui étaient ses collègues nabis.

Jusqu’au 20 mai
Au Musée des beaux-arts
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