Jérôme Fortin : Plis et replis
Jérôme Fortin, artiste de 36 ans, récupère et transforme depuis une dizaine d’années des objets et des images du quotidien. OEuvre de déconstruction.
Non, ce ne sont pas d’immenses écrans de télévision brouillés ou non décodés. Pourtant, les images créées par Jérôme Fortin pour le Musée d’art contemporain ressemblent à ça. Là où le regardeur s’attendrait à reconnaître quelque chose, à obtenir de l’information, il n’y a rien de vraiment lisible. Nous aimerions voir ce que cachent ces images, mais c’est peine perdue… Il faudra lire la vignette et les explications du catalogue pour arriver à imaginer ce qu’elles recèlent. À notre pulsion de voir, Fortin répond par des images qui sont comme des murs aveugles dans un immeuble.
Ces panneaux, ces Écrans (c’est leur judicieux titre) sont en fait neuf papiers pliés de format gigantesque (3 mètres par 5 mètres et demi!), composés de pages de cahiers à colorier, de bandes dessinées japonaises mangas, d’exemplaires de la revue américaine Artforum, de guides routiers du Canada, des États-Unis et du Mexique, de cahiers de croquis, de "pages jaunes", d’affiches d’un festival de courts métrages, de billets de validation de Loto-Québec…
En les pliant en de longues languettes placées les unes au-dessus des autres, Fortin forme d’immenses murales. Ces papiers deviennent du coup indéchiffrables, méconnaissables. Ces pages se transforment en de petits morceaux de couleur organisés en petits triangles (ceux du pliage), en des jeux de textures… L’artiste ramène ces pages porteuses d’informations à leur matérialité. Ces papiers pliés semblent être une sorte de commentaire sur l’art abstrait qui s’opposait et continue toujours de s’opposer à une récupération de l’image par les discours dominants (religieux, politique, publicitaire…). L’art abstrait est une déconstruction des images conventionnelles, un travail consistant à ruiner les récits et fictions qu’elles ont l’habitude de véhiculer. L’art abstrait doit autant être lu pour ce qu’il évacue, pour ce qui semble y être absent, que pour ce qu’il montre (jeux de textures, de couleurs, de formes…). Fortin nous rappelle cela et c’est très bien. Il revient aussi sur une autre idée très moderne, soulignant comment chaque signe visuel est lisible dans son contexte. Dans les Écrans, chaque petit morceau d’image est presque incompréhensible par lui-même… Tout cela ne manque pas de pertinence.
Il est donc bien que Fortin ait repris en très grand format ce projet qu’il avait déjà expérimenté à plus petite échelle. Encore une fois, l’artiste montre qu’il sait s’approprier les objets du quotidien pour nous les montrer sous un autre angle. Pourtant, je dois dire que je préfère les oeuvres plus anciennes de Fortin. Certes, ces Écrans sont bien ingénieux. Néanmoins, il y a dans cette idée du travail bien fait, du long et patient processus de fabrication par pliage et collage, un piège, un retour du savoir-faire, du travail minutieux en art qui risque d’être perçu comme une justification en soi. À propos de cette oeuvre, les journalistes ont surtout souligné cet aspect des choses au détriment de la réflexion visuelle qu’elle propose. C’est le défaut de ses qualités.
Jusqu’au 22 avril
Au Musée d’art contemporain
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Les origamis
Les photos composées de papiers découpés de Vik Muniz