Yan Giguère : Les liaisons heureuses
Arts visuels

Yan Giguère : Les liaisons heureuses

Yan Giguère est l’un de ces artistes québécois qui nous montrent à quel point l’art photographique va bien au pays. Images de contacts humains.

À l’heure où les artistes, trop souvent, montrent leurs oeuvres au compte-gouttes, comme si c’était de la merde de pape, exhibant trois ou quatre productions (et parfois moins) perdues dans l’immensité des murs blancs de la galerie ou du musée, le photographe Yan Giguère, dans sa plus récente expo, exhibe près de 200 images.

Celles-ci sont installées dans un réseau visuel (qui pourrait être vu comme celui des souvenirs, mais qui n’est pas que cela), labyrinthe photographique où le regard semble continuellement se perdre et se retrouver. Les images tissent lentement de subtils liens formels et narratifs. Giguère reprend ici une manière qui lui a déjà valu une reconnaissance certaine du milieu de l’art. En effet, il renégocie un dispositif de monstration qui travaille profondément le concept d’image, dispositif qu’il a déjà utilisé et que la critique d’art Marie-Josée Jean avait analysé dans un texte paru dans la revue Espace il y a déjà quelques années. Elle y expliquait que ses mosaïques visuelles démontrent comment les images se transforment selon leur proximité avec d’autres. Cela est déjà beaucoup, car cette manière de faire vient miner l’idée (encore très présente dans le grand public) que l’image photo est réaliste, qu’elle décrit précisément le réel.

Dans sa plus récente expo chez Occurrence, Giguère amplifie ce système de monstration. Il ne joue pas seulement sur des assemblages de formats différents et de thèmes divers (quoi qu’il le fasse encore avec grande intelligence). Il ajoute ici un jeu volumétrique intéressant, certaines images s’avançant plus vers le spectateur, chevauchant d’autres images, tentant de leur bouffer un peu de place. Ainsi les images se bousculent et amplifient leurs significations. De plus, Giguère travaille d’une manière surprenante (et enrichissante) avec des rimes visuelles et des passages entre images qui sont dictés par des liens formels. Ici, le corps de sa blonde est juxtaposé aux pieds d’une statue de la vierge écrasant un serpent; là, l’espace d’un atelier se poursuit dans une église désaffectée et sur le point d’être détruite; plus loin, une vue de la maison (détruite par un incendie en 2000) de Serge Lemoyne à Acton Vale trouve un écho dans un mur graffité à l’arrière du Centre Clark (où travaille Giguère, comme plusieurs artistes importants de la scène montréalaise).

Voici donc une modification significative du dispositif de monstration de Giguère, fonctionnant sur un jeu intéressant de correspondances, sur les liens secrets entre les êtres et même les choses, mais aussi sur les liaisons profondes et non superficielles entre l’art et la vie. Cette expo, intitulée Choisir, déclare que l’artiste se doit de montrer comment l’émerveillement (ce qu’on appelait autrefois la beauté) ne réside pas dans une problématique purement esthétique. L’art parle toujours de liens sociaux à faire. À l’heure où on glorifie trop souvent l’artiste qui bouffe les autres pour créer (à la Picasso), voilà une oeuvre qui nous dit d’abord combien l’art donne plus de sens à la vie.

Jusqu’au 21 avril
À l’Espace Occurrence
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À lire/voir/écouter si vous aimez
Les photos de la Québécoise Raymonde April et de l’Allemand Wolfgang Tillmans.