Ève K. Tremblay : Science et vie
Ève K. Tremblay est une jeune photographe montante qui gagne de plus en plus en intensité. Rencontre inquiétante entre fiction et réalité.
Il n’y a pas si longtemps encore, j’aurais eu tendance à faire au travail d’Ève K. Tremblay le même type de reproches que j’ai adressés à bien d’autres photographes (de sa génération ou plus vieux), tout aussi talentueux qu’elle. Très souvent, ses créations m’ont paru singulières, sachant piquer la curiosité du spectateur, et fréquemment, je les ai trouvées très intelligentes, mais elles m’ont parfois semblé manquer de profondeur.
Dans une même série (je pense par exemple à Honeymoons, réalisée en 2002), je pouvais trouver une image totalement réussie et très sentie (cette impeccable photo, par exemple, la montrant tenant une immense forme phallique), et juger un autre cliché comme étant un très beau jeu formel rien de plus qu’étonnant (j’ai en tête cette mise en scène, un peu mode, où Tremblay vêtue d’un imperméable se montrait utilisant un téléphone d’urgence installé en surplomb d’un océan agité).
Ève K. Tremblay n’est pas la seule à provoquer chez moi ce tiraillement. Beaucoup de photographes actuels (au Québec, mais aussi au Canada ou sur la scène internationale) ont malheureusement cette tendance à se laisser toucher par un certain maniérisme des poses, des situations ou des compositions que les images de mode ont développé systématiquement. Au Québec, des artistes comme Pascal Grandmaison, les frères Sanchez et même Nicolas Baier ou Geneviève Cadieux me semblent souvent avoir le même type de problème. Tremblay est donc en bonne compagnie. On me trouvera peut-être sévère, mais j’ose croire que je peux exiger de ces photographes talentueux qu’ils déconstruisent encore plus (et sans se répéter) les modèles visuels dominants. Je sais bien que la postmodernité est affaire d’appropriation des codes visuels en vogue, mais (est-ce un défaut de ma part, un reste de modernité anachronique?) je crois encore que l’artiste se doit de contester fortement cette esthétique dont on nous gave… Je veux bien que l’on me surprenne, mais encore faut-il que cette atmosphère surprenante soit porteuse d’une idée marquante.
Dans sa plus récente expo, qui a lieu dans la jeune Galerie Donald Browne, Tremblay donne plus de solidité à son propos et à son univers visuel. Dans Postures scientifiques, ses images deviennent réellement plus inquiétantes, et pas seulement en évoquant les films à suspense ou d’horreur. Dans les créations, il y a une réelle tension qui résiste à un regard plus soutenu; l’artiste poursuit une recherche sur les liens entre science et fiction, mais cette fois ce sont de vrais scientifiques qui posent et cela rajoute un je-ne-sais-quoi d’intensité à ses images.
Tremblay pointe un phénomène vraiment inquiétant. À l’heure où la science est partout (même dans nos assiettes), elle souligne comment ce champ du savoir n’échappe pas au domaine du rêve. Ses images sont certes parfois moins claires, moins léchées, mais elles gagnent en intériorité. Une image en noir et blanc (elle n’en aurait pas fait depuis sept ans) montre même qu’elle sait créer des effets visuels riches sans avoir recours à des couleurs éclatantes. Une artiste qui s’affirme de plus en plus.
Jusqu’au 12 mai
À la Galerie Donald Browne
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À voir si vous aimez
Les photos de Pascal Grandmaison, des frères Sanchez, de Nicolas Baier et de Geneviève Cadieux.