Richard Greaves : Angles morts
Arts visuels

Richard Greaves : Angles morts

Tout l’été, la Pulperie de Chicoutimi présente les photographies de Mario del Curto immortalisant les réhabilitations anarchitecturales de Richard Greaves, un artiste beauceron.

Le concept d’anarchie (au sens commun du terme comme pour son acception politique) fait appel à une situation d’où serait totalement évacuée la hiérarchie: exit toute autorité organisatrice. Or, même si au premier abord le visiteur sera peut-être tenté de croire le contraire, Richard Greaves est très présent dans son oeuvre. Si sa pratique démontre un rejet évident des conventions architecturales – voire de la logique même qui impose cette fâcheuse tendance à préférer l’angle droit aux formes obliques -, la façon dont sont disposés les différents matériaux colligés par l’artiste montre toutefois le désir d’échafauder un équilibre inhabituel mais certain, une harmonie dans le désordre. C’est du moins ce que réussit à montrer Mario del Curto par le biais de ses photographies de grand format, dont le choix du monochrome (noir et blanc) permet de mettre en lumière les formes et les lignes sans subir la distraction que provoqueraient les couleurs des matériaux et des objets agglomérés – effet que ressentira le visiteur devant l’oeuvre in situ de Greaves installée dans le Jardin des vestiges.

Les lieux invivables créés par Greaves choquent le rapport que nous entretenons avec les édifices de notre environnement, généralement construits avec une visée "fonctionnelle". C’est surtout ce pragmatisme qui semble avoir été éjecté par l’artiste, qui préfère joindre l’inutile à l’agréable. Les planchers incertains, les escaliers ne menant nulle part, les poutres diagonales, les passages exigus et le détournement utilitaire de portes et de fenêtres… Tout dans ces fouillis innommables contribue à déstabiliser le visiteur, dont les vertiges sont déjà suscités par la disposition anarchique des photos elles-mêmes dans la salle d’exposition. L’installation respecte en cela le travail de Greaves, le défaut de finition devenant la définition même de sa démarche, comme un réflexe de l’infini dans ce trop plein structuré d’une façon faussement aléatoire.

Certaines installations monumentales de l’artiste, construites à partir de ces granges de planches au bord de l’effondrement et qui ponctuent le paysage de nos campagnes, sont photographiées à différentes saisons, montrant comment le changement d’environnement modifie notre perception des choses. Ceinturés par les herbes hautes de l’été, ses édifices peu édifiants rappellent vaguement les inflorescences architecturales des bidonvilles tiers-mondiaux. Sous les bourrasques diagonales d’un souffle nival, ou étouffées sous une neige vierge, elles deviennent plutôt de monstrueux perce-neige, symboles à la fois de fragilité et de survivance. Car à travers la création de ses oeuvres à la fois précaires et bien implantées, l’artiste contribue surtout à la revalorisation de l’objet devenu détritus, dépouillé de son utilité première. Ainsi, le matériau naguère destiné à la perdition, recueilli in extremis par Greaves, prend un tout nouveau sens grâce à son travail.

Richard Greaves/Anarchitecte
Jusqu’au 14 octobre
À la Pulperie de Chicoutimi
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