Caméra publique : Caméras dé-branchées
Avec Caméra publique, le Musée canadien de la photographie contemporaine nous propose cet été des images que l’artiste Cheryl Sourkes a chapardées sur Internet.
Cheryl Sourkes navigue le Web en quête de portails vers des webcams, pour s’en approprier les images. Le fil conducteur de l’exposition relève de la qualité atemporelle des images; leurs correspondances linéaires dans le flux d’une impressionnante population connectée à Internet. Ces images captées en temps réel sont effectivement la marque provisoire d’un temps révolu instantanément, des sortes d’avatars d’une population en spectacle, où les dispositifs de mise-en-scène propre à la photographie sont demeurés caduques. Ces images n’authentifient que leur propre fatalité.
L’exposition nous suggère deux catégories de webcams (si l’on veut): les images de caméras de surveillance publique et celles de caméras personnelles des amateurs. Cams Cities, par exemple, est une série de mosaïques créées à partir des images de caméras municipales et de circulation, le tout exposé sur de grands panneaux organisés de façon semblable, présentant une multitude de points de vue sur la ville. Ces images proviennent clairement de caméras de surveillance, mais on constate aussi que cette utilité y est ici expropriée, et que tout ce qui se passe devant elles se positionne au même niveau, sans hiérarchie. "Cela entraîne la création d’histoires capricieuses et indéterminées portant sur des attitudes et des dispositions collectives".
Malheureusement, ici la compréhension du spectateur n’est pas synchronisée avec les images et on accorde beaucoup d’attention à leur qualité formelle. D’ailleurs, il y a réellement un travail de composition picturale dans cette série.
Ce qui est en jeu dans les images provenant des webcams personnelles, c’est la proximité avec la caméra. Dans la série Homecamers, un décalage est perceptible entre le propriétaire de la caméra et ce qui est donné à observer. Le personnage qui est devant la caméra ne joue pas nécessairement de rôle pour l’observateur (le spectateur), mais il paraît souvent branché lui-même sur un autre portail Internet dans la position de l’observateur, c’est-à-dire celle du spectateur. Si parfois les scènes sont vides, l’espace demeure marqué par le sujet absent. C’est la subjectivité propre du spectateur qui vient former le sujet.
Sans ces considérations théoriques, il n’est pas aisé de percevoir le sens derrière le travail de Sourkes, qui semble en amont par rapport à la compréhension des dimensions sociales et psychologiques d’une prolifération des webcams sur Internet. L’exposition paraît hermétique sous certains angles.
Cheryl Sourkes, Paris, 2002-2003. De la série Extérieur, 32 épreuves au jet d’encre. Collection de l’artiste. Avec l’autorisation de la Peak Gallery, Toronto. |
Mais il y a une surprise à cette exposition. En s’y rendant avant le mois de septembre, on se voit dérangé par les irruptions sonores provenant d’une des aires d’exposition adjacentes. Il faut laisser sa curiosité mener, car il s’agit de la trame sonore de l’installation de Douglas Gordon et de Philipe Parreno: Zidane, un portrait du 21e siècle. Le MBAC accueille cette fabuleuse (grandiose, même) installation, qui se situe entre le portrait (au sens de la tradition picturale) et le cinéma direct. Au cours du match de championnat du 23 avril 2005 entre le Real Madrid (l’équipe de Zidane) et Villareal, 17 caméras ont suivi en temps réel l’icône du football pendant toute la partie, soit 90 minutes. Ce que les artistes présentent, c’est Zidane tant à l’oeuvre que désoeuvré. L’installation est constituée de deux projections, c’est-à-dire deux points de vue simultanés, sur un pan de mur complet; une oeuvre aux dimensions monumentales.
Pour conclure, une autre petite surprise très importante: en raison de rénovations, les deux expositions ont lieu au Musée des beaux-arts du Canada, sur l’avenue Sussex, et non au Musée canadien de la photographie contemporaine.
Jusqu’au 21 octobre
Exceptionnellement au Musée des beaux-arts du Canada
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