Kent Monkman : Légendes du Nouveau Monde
Kent Monkman nous propose un revirement historique et artistique assez surprenant. Cet artiste, qui est aussi de la Biennale de Montréal, a un important solo en galerie.
Et si c’était les Amérindiens qui avaient assimilé les Européens venus les coloniser? Que se serait-il passé? C’est à ce genre de retournement hypothétique, parfois amusant, souvent satirique, que l’artiste et cinéaste torontois (mais ayant grandi au Manitoba) Kent Monkman nous convie dans son exposition.
Parmi les oeuvres présentées, c’est le vidéo qui vole certainement la vedette. Intitulé Group of the Seven Inches (en hommage humoristique au célèbre groupe de peintres paysagistes canadiens), ce court-métrage est la plus efficace, la plus "punchée" et la plus acide des oeuvres exhibées. Dans celui-ci, ce ne sont pas les Blancs qui "étudient" la culture des Amérindiens… Non, ce ne sont pas eux qui se penchent sur la vie et les moeurs des autochtones et qui, en passant, abusent ceux-ci. Dans ce petit film (projeté sur peau de bison!), c’est bien le contraire qui se produit. Vous y verrez une drag-queen amérindienne qui part à la recherche des derniers vrais Blancs avant que ceux-ci n’aient disparu, totalement absorbés par la culture aborigène. Elle les emmène dans son atelier, les peint dans des poses ridicules et faussement authentiques, contrôle ainsi leurs gestes, les fait boire et en profite pour les tripoter… Bien sûr, en inversant le rapport de pouvoir, Monkman caricature (pas tant que ça!) le regard que les anthropologues et les artistes ont longtemps posé sur les Amérindiens. Voilà une lecture postcoloniale où le désir (et le mépris) de l’autre s’énonce clairement et avec un humour corrosif.
Monkman a raison lorsqu’il dit en entrevue (//gallery.ca/cybermuse/showcases/meet) que "la sexualité a toujours joué un rôle énorme dans la colonisation", que "la sexualité des peuples autochtones a été influencée", mais que "c’est un sujet dont on parle rarement".
Les aquarelles qui accompagnent ce vidéo semblent cependant moins réussies. Citant des tableaux célèbres (peints entre autres par William Bouguereau et Jacques-Louis David), les réinterprétant, se les appropriant (postmodernité oblige), Monkman tente d’en miner l’esthétique. Il y remplace certains personnages européens par des personnages amérindiens. Malheureusement, malgré la pertinence de cette idée, le résultat est bien moins subversif que le vidéo. Ces dessins ont trop un aspect gravure néoclassique ou académique (et pas assez amérindien) pour que le court-circuitage esthétique se réalise. Certes, il y a bien des accents d’homosexualité qui viennent troubler leur aspect de bon ton, mais ce n’est pas suffisant pour vraiment en perturber le sens. L’esthétique néoclassique (et académique) avait déjà trop cette connotation pour que cela soit si percutant. Les fausses photos d’époque, mettant un peu plus en scène le personnage de drag-queen amérindienne, poursuivent mieux cette relecture culturelle acidulée.
Monkman ne profite pas de cette expo pour plonger dans une nostalgie d’une culture amérindienne qui aurait été. Il s’invente un personnage de drag-queen, symbole d’une hybridité culturelle, et du coup s’approprie cette culture. Monkman, qui est à la fois "d’ascendance wampy et anglo-irlandaise", projette dans ce personnage un entre-deux identitaire qui me semble d’une juste impertinence.
Jusqu’au 14 juillet
À la Galerie Pierre-François Ouellette Art Contemporain
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