Emily Carr : Portraits postmodernes
Emily Carr, artiste "découverte" en 1927 à 56 ans, fait l’objet d’une expo pancanadienne qui, avant Calgary et après Ottawa, Vancouver et Toronto, fait escale à Montréal. Analyse d’un mythe.
Lors de la visite, l’amateur d’art pourra à juste titre se poser la question de la pertinence d’une rétrospective Emily Carr en 2007. C’est la quatrième depuis sa mort en 1945 ("un record pour un artiste canadien", nous dit Gerta Moray dans le catalogue). Et la dernière fois qu’un tel exercice fut fait ne remonte pas à si longtemps… En effet, en 1990, le Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, avait déjà monté un événement de ce genre. Depuis, les études sur cette peintre et écrivaine ont-elles apporté des points de vue si nouveaux? Heureusement, les commissaires de cette expo ont su éviter plusieurs écueils et ont même pu élaborer une manière de faire qui pourrait bien faire école.
Charles C. Hill (conservateur de l’art canadien au Musée des beaux-arts du Canada), Johanne Lamoureux (professeure et directrice du Département d’histoire de l’art à l’Université de Montréal) et Ian M. Thom (conservateur principal et responsable de la collection Emily Carr à la Vancouver Art Gallery) ont constitué, dans un intelligent paradoxe, une expo postmoderne sur une artiste moderne. Il s’agit en fait d’une présentation qui analyse comment l’image d’Emily Carr a pu s’élaborer et se transformer en 80 ans d’expositions. Voilà un point de vue très postmo où le contenu d’une oeuvre réside autant dans ce qu’elle dit implicitement que dans les diverses lectures faites par les individus et la société qui se l’approprièrent. L’expo Emily Carr, nouvelles perspectives sur une légende canadienne analyse la mise en exposition, la mise en scène de l’oeuvre de cette artiste. Il faut dire qu’elle fut très souvent récupérée. Comme l’explique encore Gerta Moray, le critique John Bentley Mays, lors de la rétrospective de 1990, écrivait sur Carr cette phrase très juste: "Si, actuellement, on s’intéresse à son oeuvre, c’est moins à cause de ses réalisations en arts visuels que dans son utilité en tant qu’exemple". Il faisait alors référence aux liens que l’on faisait entre les paysages de Carr et l’affirmation des femmes dans notre société ainsi qu’avec la montée de la conscience écologique. Ce critique dénonçait alors le fait que cette expo ne posait pas "la question essentielle: à quel point Carr était-elle une artiste talentueuse et importante?" La rétrospective de 2006-2007 ne soulève pas non plus cette question, et ce, même si, il faut bien le reconnaître, les paysages de la fin de la vie de Carr tombent souvent dans une gestuelle lyrique un peu facile.
Cette rétrospective évite néanmoins le satané piège de la canadianité que le Musée des beaux-arts du Canada a souvent voulu élaborer. Dans les dernières années, nous avons eu les expos sur Edwin Holgate, peintre canadien, le Groupe des Sept dans l’Ouest canadien, Tom Thomson… Je dois dire que je me méfie beaucoup de cette tendance à l’instrumentalisation de l’art. L’histoire de l’art fut autrefois remplie de ces histoires nationales, de récits sur les tempéraments et genres artistiques propres à une nation. Heureusement, cette expo nous offre une lecture bien plus intelligente sur le sujet. Un modèle à suivre.
Jusqu’au 23 septembre
Au Musée des beaux-arts de Montréal
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