Trafic'Art : [Change]ments climartistiques
Arts visuels

Trafic’Art : [Change]ments climartistiques

La quatrième édition de Trafic’Art, organisée autour du thème des [change]ments climatiques, se déroulera du 15 août au 15 octobre. Rencontre avec Érik Samakh, l’un des artistes invités.

Depuis toujours, les artistes posent un regard unique sur le monde de façon à l’interpréter. Souvent doués d’une sensibilité particulièrement aiguë, et capables d’une attention généralement nuancée, ils envisagent leur univers d’un point de vue original. Loin des scénarios catastrophe dont se gargarisent les médias, ils communient avec un environnement malade, parfois profondément touchés par cette mutation climatique qui fait tant de tapage.

Comment ces changements, les sensibilités publiques et les mouvements de masse qui en résultent, la paranoïa de certains et l’indifférence des autres, influencent-ils le travail des artistes? C’est ce que permettra de découvrir la quatrième édition de Trafic’Art, cette biennale organisée par la galerie Séquence, qui s’intéressera cette année aux changements climatiques.

Pendant deux mois, Saguenay sera à la croisée de tous les horizons alors que des oeuvres d’artistes de la France, de l’Espagne, de l’Angleterre, de l’Allemagne, de Cuba, des Pays-Bas et bien sûr du Canada seront présentées au grand public, parfois dans des endroits inédits. C’est le cas du travail d’Érik Samakh, un artiste français qui, sur invitation de Séquence, investit le Parc de la Rivière-du-Moulin.

Samakh, passionné de pêche et de plein air, montre une vive préoccupation pour l’environnement. C’est cet inaltérable intérêt qui est à la source de ses installations artistiques. "J’ai conçu les flûtes solaires à partir du moment où j’ai commencé à habiter à la montagne. Auparavant, je travaillais avec des ordinateurs, aussi avec des systèmes solaires mais très complexes."

C’est en amont du barrage, au Parc de la Rivière-du-Moulin, dans ce qu’il qualifie d’amphithéâtre naturel, que Samakh a installé tout son attirail. L’artiste a en fait doté la nature d’un instrument de musique à nul autre pareil. "C’est comme un tuyau d’orgue. Finalement, c’est une espèce d’orgue solaire dont chaque tube est réparti dans le paysage." Les instruments – 20 en tout auraient été installés – sont somme toute des systèmes relativement simples qui transforment l’énergie solaire en un son flûté dont le rythme et l’intensité répondent à la présence et à la force des rayons du soleil, imprégnant ce temple naturel d’une ambiance méditative unique, presque sacrée. "Ce qui est intéressant, c’est que les flûtes ont tendance à amplifier ce qu’il y a déjà dans le lieu. On cherche à interpréter, mais l’interprétation est très vite orientée par le lieu lui-même."

Les visiteurs peuvent apprécier l’installation sonore de Samakh sur l’un ou l’autre des sentiers qui bordent la rivière, ou encore en canot. "En canot, c’est vachement intéressant. Parce que c’est au milieu de la rivière. J’ai volontairement choisi l’endroit où on n’entend plus la chute, et à ce moment-là, on entend les flûtes." Le décor d’une banale randonnée devient ainsi un paysage sonore mémorable: ce n’est pas d’un oeil nouveau qu’on le découvre, mais d’une oreille attentive. Le sous-bois n’aura jamais été aussi bruyant, aussi grouillant de vie, alors que les véritables bruits de la forêt semblent s’harmoniser avec la musique des oeuvres de l’artiste. Le bruissement des feuilles, le clapotis de la rivière, les criaillements des oiseaux communs, le jeu de quelque enfant, tous les sons se laissent redécouvrir en suivant la partition des Flûtes de Papawitish (nom montagnais de la rivière et de son moulin).

Si son oeuvre ne requiert pas essentiellement un auditoire important – Samakh a d’ailleurs déjà expérimenté l’installation de telles flûtes dans une forêt particulièrement isolée du Brésil, en retrait de Rio de Janeiro -, le contexte de la biennale et la proximité qui existe dans la région entre la ville et la nature permettent de la faire entendre par le plus grand nombre. "L’intérêt, c’est que beaucoup de gens y viennent. Je suis capable de faire une telle installation dans une ZEC et il n’y a aucun problème. Techniquement, je sais faire. J’ai déjà fait, perdu comme ça… Mais quel intérêt pour Trafic’Art et pour Séquence, franchement?"

Le choix du parc n’est toutefois pas fortuit et ne dépend pas de cette seule variable. "Il y a tous les éléments. La proximité, la forêt, les chemins, la rivière, qui elle-même a un nom qui parle de l’histoire, du début de l’industrialisation. Et juste à cet endroit-là, il y a les lignes électriques qui traversent. J’ai donc vraiment mis les flûtes à la croisée de l’histoire. Cette espèce de noeud est plus important que les flûtes elles-mêmes."

Dans ce contexte particulièrement chargé de sens, les Flûtes de Papawitish sont donc plus que les simples instruments d’une musique "naturelle". Elles sont le prétexte d’une attention accrue qui doit être portée à l’environnement, à sa charge émotive, sociologique et historique. Une nécessaire redécouverte du connu qui n’est pas sans rappeler la façon dont l’être humain doit aujourd’hui réapprendre à connaître un environnement en pleine mutation.

DISCIPLES DE THOMAS

D’entrée de jeu, le type qui travaille à l’accueil du Parc de la Rivière-du-Moulin émet un avertissement sans appel: "Il fait soleil, alors vous allez les entendre, mais vous ne les verrez probablement pas. Elles sont trop bien camouflées." Avec toute l’importance que notre société accorde au sens de la vue, souvent la seule véritable possibilité de confirmation du réel, créer une oeuvre qui n’est pas faite pour être vue mais plutôt entendue est sans doute particulièrement audacieux.

Hissées très haut à la cime d’arbres morts, particulièrement nombreux autour du bassin, selon l’artiste, les flûtes ne cherchent pas à attirer l’oeil, bien au contraire. Au point où le visiteur aura peut-être la vague impression de s’être fait flouer, même en ayant entendu la vibration de leur souffle. "À la limite, aujourd’hui, je pense qu’il faudrait que j’ose aller jusqu’au bout. D’une certaine manière, je pense que maintenant, j’ai ce pouvoir… Construire tout un projet… Dire que j’installe quelque chose… Et ne rien installer. Un placebo artistique. Je pense que maintenant je devrais passer à ça…" lance-t-il non sans un brin d’ironie. Cette fois, il faudra se contenter de l’entendre pour le croire…

Dans le cadre de Trafic’Art
Au Parc de la Rivière-du-Moulin
Du 15 août au 15 octobre
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