Bernard Rudofsky : Décorseter l'espace
Arts visuels

Bernard Rudofsky : Décorseter l’espace

Bernard Rudofsky est un architecte à découvrir. De la rétrospective un peu trop épurée que lui consacre le CCA, émerge la pensée d’un véritable agitateur culturel.

En conférence de presse, Mirko Zardini, directeur du Centre Canadien d’Architecture (CCA), l’a présenté comme un architecte sous-estimé. Et à voir cette première rétrospective jamais montée au sujet de Bernard Rudofsky (1905-1998), voilà qui en effet semble demander réparation. Cet architecte, mais aussi designer, critique et théoricien (né en Moravie, mais ayant vécu en Autriche, en Italie, en Argentine, au Brésil et aux États-Unis), semble bien avoir développé des idées nouvelles pour son époque et qui même de nos jours sont d’actualité.

En pleine modernité, alors que les architectes prônent un modèle épuré, un fonctionnalisme dépouillé et souvent d’une grande rigidité (pensons à Mies van der Rohe qui, pour plusieurs de ses critiques, corsetait les bâtiments), Rudofsky veut renouer avec une architecture vernaculaire ou anonyme. Dès les années 30, avec sa thèse de doctorat, il se préoccupe de cette problématique importante de "l’architecture sans architectes". Il y voit une manière de faire qui fonctionne mieux avec la réalité de la vie. Sa réflexion sur le sujet l’amènera en 1964 à la publication d’un important livre et à la présentation d’une exposition au Musée d’art moderne de New York. Il y renverse le modèle d’une architecture qui vient de l’extérieur régler le quotidien pour le remplacer par un mode de vie qui s’incarne dans le bâtiment.

Rudofsky s’intéresse aussi aux vêtements, qu’il souhaite réformer. À une époque où le corps est encore très emprisonné (même le corps des hommes est très enserré et boutonné), il prône l’usage de tenues amples et de sandales qui ne lui semblent pas blesser ou déformer les pieds comme bien des chaussures fermées (telle la chaussure pointue qui est faite pour une forme de pied inexistante). Dans les années 50 et 60, il va même jusqu’à dessiner des vêtements et des sandales pour la compagnie Bernardo. Là encore, Rudofsky inverse le modèle conventionnel. Le vêtement ne vient pas imposer une manière d’être, c’est plutôt le corps qui dicte au vêtement la forme qu’il doit prendre. Rudofsky serait certainement content de voir comment, de nos jours, les sandales sont monnaie courante et comment nos vêtements sont beaucoup moins contraignants pour le corps.

Il s’agit donc d’une exposition qui fera réfléchir sur la manière dont le monde extérieur impose des règles jusque dans nos espaces intérieurs et même nos vêtements. Voilà une voie que bien des penseurs ont suivie (pensons au philosophe Michel Foucault), mais qui mérite d’être soulignée encore de nos jours. Pour discuter d’un tel sujet, cette rétrospective aurait pu être un peu plus échevelée, plus organique, moins épurée, et s’achever sur l’héritage actuel de ce penseur. Qui se réclame encore de sa pensée? L’architecture vernaculaire est-elle toujours revendiquée? Pourquoi la pensée de Rudofsky fut-elle négligée? Voilà des questions qui auraient pu être soulevées… Malgré une certaine aridité dans la structure de présentation (très CCA), voilà une expo qui réaffirme avec intelligence l’idée d’un monde plus souple.

Jusqu’au 30 septembre
Au Centre Canadien d’Architecture
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