Thomas Hirschhorn : Le chaos du monde
Le travail de Thomas Hirschhorn, artiste d’origine suisse vivant à Paris, n’avait jamais été exposé au Canada. Voilà une faute qui est enfin réparée… à Montréal.
Le Musée d’art contemporain (MAC) vient de faire une acquisition extrêmement importante. Il a acheté une pièce majeure d’un artiste majeur. Créée pour le Chicago Art Institute en 2000 et présentée en 2005 au Centre Pompidou à Paris dans le cadre de l’exposition collective Dionysiac, Jumbo Spoons and Big Cake (Cuillères géantes et gros gâteau) de Thomas Hirschhorn est une installation intelligente à la fois dans son propos et dans sa forme.
Non, ce n’est pas une oeuvre jolie. Elle est étrange, un peu informe même. Au premier coup d’oeil, elle semble un peu anarchique. Et c’est très bien ainsi. Elle est composée de dizaines de livres (entassés, retenus par des chaînes qui les trouent d’une manière peu respectueuse), d’images et de textes accrochés, "scotch tapés" au mur, de feuilles d’aluminium, de sacs de recyclage bleus, de louches, de seaux en plastique… Une oeuvre qui a des allures de capharnaüm. Pourtant, c’est un coup de maître de la part du MAC que de l’avoir acquise.
En conférence de presse, le directeur du MAC, Marc Mayer, la décrivait comme une sorte de bilan du 20e siècle. Mais elle pourrait être expliquée aussi comme un portrait de notre contemporanéité et des défis qui nous attendent en ce 21e siècle. Douze grandes cuillères appuyées aux murs et surmontées d’un titre (comme le sont les petites cuillères que l’on rapporte d’un voyage) font référence à des grands thèmes (Hirschhorn n’aime pas trop le mot "utopie", qui lui semble trop à la mode): l’architecture révolutionnaire de Mies van der Rohe, la pensée et les actions communistes de Rosa Luxembourg, l’art protestataire de Malevitch, la ville de Venise, les idées de Nietzsche, la Lune et la conquête de l’espace… Au centre, est placé une sorte de gros gâteau entouré de seaux qui semblent vouloir retenir quelque chose de ce monde de gaspillage qui est le nôtre et où l’on risque de jeter aussi les rêves représentés par ces grands thèmes.
Que retenir de ces livres, dont plusieurs très engagés? Citons-en quelques-uns: Globalization and the Postcolonial World d’Ankie Hoogwelt, Femmes et économie solidaire d’Isabelle Guérin, Le Terrorisme alimentaire, comment les multinationales affament le Tiers-Monde de la philosophe, écologiste et écrivaine indienne Vandana Shiva, The Female Eunuch de la féministe Germaine Greer… Comme le disait déjà il y a 30 ans le philosophe Lyotard dans La Condition postmoderne, faut-il croire que l’époque des rêves et des grandes utopies est finie? Ou pouvons-nous croire encore au pouvoir de la pensée et du livre? À propos du livre, Hirschhorn affirme: "C’est un outil comme les autres outils présents dans mon installation, pouvant servir à plusieurs choses, être bien ou mal utilisés." La même chose peut être dite au sujet des 12 cuillères et des grands projets qu’elles symbolisent. Que faut-il garder de ceux-ci?
Alors que bien des artistes contemporains créent des oeuvres souvent vides de sens, proprettes, de bon goût, prêtes à être installées chez un collectionneur bourgeois, voilà un art dérangeant, digne d’un oursin ou d’un porc-épic, et qui pose avec pertinence la question de la révolution dans un monde en manque de rêves, la question du savoir dans un monde trop souvent inculte.
Jusqu’au 6 janvier
Au Musée d’art contemporain
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