Vik Muniz : Nettoyer le regard
Arts visuels

Vik Muniz : Nettoyer le regard

Vik Muniz, artiste d’origine brésilienne vivant à New York, joue et jouit d’images célèbres. Un art plus intelligent qu’il n’y paraît au premier regard.

La critique a souvent voulu faire de Vik Muniz un ingénieux créateur, un habile et séduisant artiste, un magicien de l’image, un illusionniste qui nous permettrait, nous spectateurs, de retomber en enfance, émerveillés par ses tours de passe-passe visuels… À travers ses recréations photographiées de la Joconde en beurre d’arachide ou en marmelade, de la Méduse du Caravage en spaghetti et sauce marinara (l’art n’est-il pas affaire de goût?), Muniz saurait nous séduire et nous amuser avec élégance. C’est comme si nous pouvions renouer (par personne interposée) avec le plaisir enfantin de jouer avec les aliments dans nos assiettes… Séduisant et un peu gamin, le travail de Muniz? Un peu trop, semble-t-on lui reprocher à mots couverts… Voilà une manière réductrice de voir son oeuvre, mais qui mérite que nous nous y attardions.

Soudain, certains découvrent que la postmodernité est souvent séduction et légèreté… Oui, en effet. Et cela n’est pas toujours heureux, car trop fréquemment ce type d’art tombe dans le décoratif et dans le divertissement culturel. Même si on pourrait souvent lui reprocher de frôler le truc visuel, l’oeuvre de Muniz est plus intelligente que cela. Elle traite des processus de médiatisation et de récupération des images, et en particulier de l’art. Ayant travaillé dans le milieu de la publicité, il sait de quoi il parle.

En fait, Muniz expose une double médiatisation. En effet, souvent il a reproduit d’abord, avec divers matériaux (cela va du chocolat au sucre, en passant par les diamants et la poussière), des images célèbres qu’il a ensuite photographiées. Mais ce jeu de poupées russes ne s’arrête pas là puisque ces images ont déjà été recréées par l’imaginaire collectif, la Mona Lisa ou le visage d’Elizabeth Taylor ayant été réinventés, réinterprétés durant des décennies ou même des siècles par le grand public et les médias. De plus, ces images ont été "resémantisées" par d’autres que Muniz (la Joconde et Taylor ayant été citées, entre autres, par Andy Warhol). Et je pourrais poursuivre longuement cette liste des interventions réelles ou symboliques réalisées autour de ces images. Une fois que l’on a pris conscience de ce mécanisme, on s’aperçoit de la formidable ampleur de sa présence.

Muniz expose donc, entre autres, comment l’art est récupéré (à des fins mercantiles autant que politiques). La Mona Lisa, comme bien d’autres oeuvres connues, a été déclinée dans une incalculable quantité de produits. Il n’y a pas si longtemps, l’art de Monet servait à une cuvée de vin que l’on pouvait se procurer au Musée des beaux-arts lors d’une expo consacrée à cet artiste, qui n’était pourtant pas vigneron.

Dans un des articles qu’il a écrits, intitulé "Miroirs ou Comment voler un chef-d’oeuvre", Muniz remarque à quel point les touristes qui vont au Louvre afin d’y admirer la Joconde ne la voient souvent pas à l’oeil nu, mais à travers la "caméra collée à leur visage". C’est cette situation où le monde est toujours vu à travers des filtres que nous expose Muniz. Un travail qui est finalement moins enfantin qu’il n’y paraît…

Jusqu’au 6 janvier 2008
Au Musée d’art contemporain
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