Noémie Payant-Hébert : Par l’entrebâillement
À Séquence ces jours-ci, Noémie Payant-Hébert fait naître le silence d’une ambiance sonore, et plante une inquiétante étrangeté dans ses décors déconstruits. Avançons sur la trace des oiseaux tombés du ciel…
Il existe un son que peu de gens ont véritablement entendu et que pourtant quiconque peut se figurer: le frottement des ailes d’un oiseau qui battent l’air pour l’arracher du sol. C’est cet écho spectral qui subsiste lorsqu’on quitte Séquence, laissant la porte se refermer sur les oeuvres de Noémie Payant-Hébert.
Ses installations sculpturales et vidéographiques ont une force d’évocation hors du commun, transformant l’expérience du VU au SENTI, sans toutefois avoir recours à des subterfuges muséologiques faciles: seuls, le visible et le sonore suffisent à l’artiste pour créer un monde d’une inquiétante fragilité, enfantin sans pourtant être innocent.
Tout au long du parcours d’exposition, Payant-Hébert utilise différents écrans – mur, porte, carreaux de fenêtres souillés – pour placer le visiteur dans la situation d’un voyeur. Dans cette position plus ou moins confortable, ce dernier n’aura pas véritablement accès à la totalité de l’oeuvre, la découvrant comme s’il pénétrait l’intimité d’autrui, savourant l’inquiétant plaisir coupable qui fait au badaud jeter un oeil dans les demeures qui flanquent son chemin.
Dans l’un des décors (Kitchen), accroupis sous la table de cuisine, des enfants barbouillés se cachent. Une chaise est renversée, et leur crainte semble présager l’imminence d’un danger, ombrageant leur visage. Ils ne peuvent s’échapper de cet invisible et pourtant imparable ennemi, semble-t-il, qu’en se fermant au monde, les yeux clos, ou les oreilles bouchées – sens qui pourtant sont les seules clés pour apprécier le travail de l’artiste. Les traces laissées sur les murs par leurs mains souillées de peinture, évoquant la fugacité du vol des oiseaux qu’ils auront fait tomber du ciel, montrent qu’ils ne sont peut-être pas étrangers à l’intenable tension qui règne dans le petit logement. Et la mer qui lèche les carreaux de la fenêtre ferme leur horizon plus qu’elle ne l’ouvre, ce qui n’est pas pour arranger les choses…
Par cette mise en scène liant projection vidéo et installation, l’artiste arrive à instiguer chez le visiteur le malaise de celui qui se voit témoin d’une situation grave tout en souffrant d’une incapacité patente. On voudrait bien les aider. Impossible.
Après cette forte charge émotive, c’est sans doute un regard inquiété que le visiteur glissera par l’entrebâillement de la porte s’ouvrant dans le mur de la dernière installation (Out of Kitchen). Payant-Hébert y brise toutes les dichotomies: il n’existe plus ni dedans ni dehors, ni vie ni mort, ni distance ni proximité, ni même de sexe.
Derrière le battant entrouvert, deux enfants portant des caoutchoucs et une robe légère marchent dans la vase au bord de la mer. Leurs gestes hypnotiques semblent respecter les règles de ces jeux dont seuls les enfants ont la clé. Peut-être est-ce un effet du ralentissement des images projetées, de la présence des oiseaux de peluche abandonnés ou encore des arbres morts redressés par l’artiste, mais le spectateur saura, comme une certitude instinctive, que leur jeu est tragique.
Avec Théo, Taureau et Turquoise: faire tomber les oiseaux, Noémie Payant-Hébert montre une maîtrise impeccable de tous les éléments de ses installations, simples d’approche mais complexes dans leur mise en relation. Une expérience à vivre.
Jusqu’au 24 février
À Séquence
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Jocelyn Robert, Marie-Hélène Leblanc