Clive Holden : Société en mouvement
Clive Holden cultive tous ses talents. Il est cinéaste, artiste en arts visuels, écrivain et poète! Une installation nous montre qu’il se veut aussi artiste engagé.
Il y a dans cette installation vidéo de Clive Holden (artiste né à Winnipeg et vivant à Toronto) un look années 60-70 indéniable. Cela semble une évidence puisqu’il y cite et retravaille des scènes du célèbre film Saturday Night Fever (réalisé en 1977) avec l’ondulant, le grouillant John Travolta. Mais le visiteur se croira en fait plus en train de voir un film underground de cette période. Dans Utopia Suite Disco, vous verrez un montage visuel très fragmenté, très déconstruit, avec des couleurs vives qui rappellent le psychédélique tellement à la mode à cette époque. Du coup, cette oeuvre semble montrer comment le cinéma expérimental peut rencontrer, s’approprier, parasiter le cinéma hollywoodien. Ce montage, qui semblera hétéroclite au premier coup d’oeil, pourra en fait faire penser à une scène du film Easy Rider (1969), celle où à la fin du récit les deux héros font usage de drogues. Ce film (de Dennis Hopper) représentait alors déjà un bon exemple d’hybride, de croisement entre des genres cinématographiques très différents… En mettant en boucle certaines scènes montrant John Travolta et en les intercalant avec des images de personnages ayant marqué l’histoire (philosophes, écrivains, activistes…), Holden crée une fascinante bestiole visuelle. Cela aurait pu donner un discours un peu facile. S’agit-il d’une simple opposition entre culture populaire réconfortante et culture intellectuelle contestataire? Heureusement, le propos est plus complexe.
Comme le dit son titre, cette création parle de la notion d’utopie, mot inventé au 16e siècle par le philosophe anglais Thomas More pour décrire des projets de sociétés idéales. Voilà d’ailleurs pourquoi Holden inscrit le portrait de More (par Hans Holbein) dans sa vidéo. À ce portrait s’ajoutent ceux de Che Guevara, Nelson Mandela, Simone de Beauvoir, Gloria Steinem (une féministe étasunienne), Harriet Tubman (une abolitionniste afro-américaine du 19e siècle)… Le lien avec John Travolta et le mouvement disco? Comme l’écrit Vicky Chainey Gagnon dans le texte de présentation, le personnage de Tony Manero (joué par Travolta) représenta aussi un rêve, celui d’un enfant d’immigrants qui, ayant un emploi médiocre, souhaite réussir sa vie. La danse pourrait lui permettre de canaliser son énergie. Le rêve américain semble peut-être un peu simpliste, mais il est aussi une forme d’utopie qui passe, dans le cadre de ce film, par le corps dansant le disco. Comme si Thomas More avait fait un enfant avec Gloria Gaynor ou Donna Summer… Étrange mariage! Mais il fut une époque où la danse représentait un rituel social important et pas seulement un divertissement. Platon disait que pour être de bons citoyens, les hommes devaient savoir danser. On raconte qu’Élisabeth Ire avait choisi un ministre parce qu’il était bon danseur et que c’était une preuve qu’il saurait bien mener la société de son époque. Louis XIV adorait danser et il était l’étoile dans les spectacles à Versailles… Holden nous dit l’utopie (même la plus simpliste) comme mouvement social, comme manière d’être dans son corps.
Jusqu’au 29 mars
À la Galerie d’art Foreman de l’Université Bishop’s
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Le cinéma expérimental, les installations vidéo