Peintre juifs de Montréal. Témoins de leur époque, 1930-1948 : Rhétorique de l’image
Avec Peintre juifs de Montréal. Témoins de leur époque, 1930-1948, le Musée national des beaux-arts du Québec nous fait découvrir l’histoire occultée d’une esthétique oubliée.
Fuyant l’antisémitisme européen grandissant du début du 20e siècle, plusieurs juifs ashkénazes et autres s’établiront à Montréal et étudieront les beaux-arts, ici et à l’étranger. Il émergera de cette communauté une pléthore de peintres prolifiques, à une époque où les artistes québécois n’ont pas encore connu les Pellan et Borduas.
Ces artistes juifs auront une production riche et, surtout, consciente de ce qui se passe en Europe. Ils vont peindre la ville de Montréal, évidemment, mais aussi la crise économique, la montée du totalitarisme, du fascisme et du nazisme. À cet égard, la caricature Joseph Goebbels de Harry Mayerovitch est très parlante. Elle date de 1939. En ce temps-là, beaucoup de juifs allemands n’ont pas encore quitté l’Allemagne nazie, ne croyant pas ce qu’ils entendent sur Hitler et ses folles ambitions; Heidegger est membre du parti nazi depuis 1933; les États-Unis n’ont pas encore déclaré la guerre; et l’extermination des juifs et leur déportation, ce qu’on appelle aujourd’hui la Shoah, sont enclenchées et bouleverseront le monde. Bref, il n’y a pas que des aveugles en Amérique du Nord, et les artistes juifs de Montréal de l’entre-deux-guerres vont être dans les premiers à prendre les "armes artistiques" pour dénoncer l’atrocité de ce qui est en train d’être commis par le führer et sa "garde rapprochée".
Ils dénonceront aussi Duplessis – qu’ils n’hésiteront pas à caricaturer en Napoléon -, le chômage et la détresse qu’il engendrera – la série Chômeur d’Ernst Neumann de 1933 en rend très bien compte. Ils participeront à l’effort de guerre par la réalisation d’affiches. Mais bien plus que cela, ils seront précurseurs d’un nouvel art moderne qui est en train de se dessiner, et c’est le cas de le dire, dans le paysage de l’art québécois. Figuratifs, ces artistes n’hésiteront pas à transgresser les règles du genre en proposant des oeuvres plus abstraites. Ils influenceront la Révolution tranquille et les artisans du Refus global. Ils participeront à un art moins nationaliste et plus universel. Ils s’affranchiront des préjugés racistes et peindront des portraits sensibles et humains, comme le Nu féminin assis de Louis Muhlstock peint vers 1940.
Ils seront les maîtres d’oeuvre, avec d’autres, d’un art libéré du joug de l’Église et des serviteurs de l’État. Autrement dit, cette exposition est une vitrine sur notre passé, sur notre histoire, sur une période trouble de notre histoire. Et toute la richesse de ces oeuvres se trouve justement dans cette capacité que les artistes ont eue de transposer picturalement toute la souffrance d’un peuple alors qu’il doit se battre pour la liberté, l’égalité et la fraternité. Cette histoire, qui nous est racontée visuellement par Esther Trépanier, commissaire invitée, c’est celle des juifs, celle des Québécois, celle de l’humanité tout entière.
Jusqu’au 20 avril
Au Musée national de beaux-arts du Québec
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L’histoire de l’art québécois, la peinture moderne et la caricature