Annie Baillargeon : Miroir tragique
Annie Baillargeon remet en question la féminité qui repose sur le factice des apparats et des critères de beauté. Miroir, miroir, dis-moi qui est la plus femme?
C’est 48 heures avant la Journée de la femme qu’étaient vernies les oeuvres d’Annie Baillargeon, à Séquence. Le timing n’aurait pu être mieux choisi pour mettre en question la féminité avec une telle acuité.
D’abord, une entrée en matière plutôt soft. Dans le premier espace de la galerie sont présentées des photographies d’esthétique kitsch. Le symbole de la rose épanouie, évoquant dans la littérature l’organe sexuel féminin, y prend beaucoup d’importance par sa multiplication – comme partout dans cette exposition -, rappelant par sa répétition le motif du corps exploité par l’artiste dans ses travaux précédents. Sur ces images de grand format, rappelant vaguement l’aspect visuel des affiches de cinéma, le simulacre d’une starlette s’abreuvant à la source même de l’eau de rose… et son pendant sombre, sorcière déchaînée.
C’est dans la chambre tapissée de velours, située dans la deuxième section de la galerie, que la situation se gâte véritablement. Sur un écran rappelant par sa forme le miroir magique des coiffeuses de contes de fées, l’actrice crève l’écran au coeur d’un bouquet de roses, naissant parce que baignée de ces ornements floraux. C’est alors que prend tout son sens le titre de l’exposition, She Just Wants to Be an Actress. Les cheveux platine, les lèvres incarnates, elle pose sur une ambiance de trames sonores issues de différents films, jouant sa vie comme une vedette du grand écran.
Peu à peu, toutefois, le conte de fées vire au cauchemar. Le grand miroir devient tragique plus que magique. Les roses sont coupées, mangées, et le personnage en vient à cracher un fluide rougeâtre, vomissant comme un fiel ce qui semble être l’essence même de sa féminité. Que restera-t-il lorsque le mascara, avec les larmes, aura coulé? Lorsque les artifices qui font la femme d’aujourd’hui seront disparus?
Le dernier espace de la salle d’exposition s’ouvre sur un véritable charnier. Où les roses par centaines deviennent noires. Où la femme peut avoir le torse littéralement arraché, reposant nue dans une mare de sa propre chair. Faute de féminité, son visage, seuil de l’identité, se verra fondre et dégouliner pour ne laisser que des restes monstrueux. Le petit chaperon rouge, devenue femme, n’aura pas su éviter tous les dangers qui l’attendaient au détour.
L’artifice devait être un agrément, répondant à une féminité préexistante. Or, pour certaines femmes, il a fini par se muter en fondement même de l’identité, s’accaparant toute leur attention. Comme si sans fard ni ornement, il n’y avait plus d’identification possible.
On sent une urgence dans le travail de Baillargeon. La femme est au carrefour de son identité. Elle DOIT se questionner. Ou perdre la face.
Jusqu’au 6 avril
À Séquence
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