Sorel Cohen : Soigner son intérieur
Sorel Cohen nous dévoile les espaces de travail des psychanalystes. Dans ses "Divans Dolorosa", elle ne couche pas que le patient…
S’agirait-il d’un simple cas de fétichisme, de déplacement du désir vers un ou des objets (palliant le constat de la ruine du phallus… freudien)? Cher lecteur, je vous soumets humblement les cas suivants. Vous jugerez par vous-mêmes de la gravité des dossiers exposés.
Dans les 14 petites photos de cabinets de psychanalystes (sévissant à Montréal et à Québec) réalisées par la photographe Sorel Cohen, vous pourrez percevoir les signes récurrents du modus operandi de l’habitus psychanalyticus. L’oeil averti saura y débusquer les indices des comportements répétitifs et compulsifs que les initiés appellent une "psychanalyse". Vous y verrez s’étaler les tics, manies et symptômes obsessifs propres à la névrose du psychanalyste moyen jusque dans sa décoration intérieure: vieux meubles dont on ne se débarrasse pas (lien complexe avec le passé et radinerie chronique allant en augmentant dans un rapport exponentiel avec les honoraires obscènes demandés), tapis orientaux et statues africaines (tendance vers un exotisme finalement assez commun lié à une projection fantasmatique et libidinale sur l’autre et l’ailleurs), amour des couleurs tirant sur le brun-merde ou le jaune-pisse (stade anal pas tout à fait réglé?)… Évidemment, chacun de ces psys expose aussi sa version personnelle du divan, très long et souvent large (certains allant dans la démesure), conventionnelle manifestation du désir de pérenniser le phallus premier, intouchable, celui du cocaïnomane Sigmund Freud. Cela montre bien que l’envie du pénis est avant tout perpétuée par le masculin…
Sur les vitres qui protègent ces images (presque sacrées), sont gravés un ou des symptômes: jalousie, peur, envie, émotions réprimées, anxiété… On ne sait trop s’il s’agit des malaises exprimés par les patients ou de symboles encryptés dans le style décoratif. Cohen poursuit ici une série réalisée en 1996, portant sur des cabinets de psys parisiens où il faut noter, sans aucune malice, la présence de bien plus de livres… Nos psys québécois seraient-ils moins intellos que ceux de la Ville lumière? J’y vois les signes d’un refoulement culturel bien québécois.
Je ne dirais pas qu’il s’agit d’une oeuvre absolument nouvelle. Il y a ici un effet de répétition qui est presque classique. Je n’irai pas non plus jusqu’à prétendre que ces images cristallisent des archétypes. Il s’agit, selon mon humble opinion, de la représentation d’une structure obsessive néanmoins bien intéressante et qui, grâce à l’art, l’histoire de l’art, de la culture et du regard, pourrait être libératrice pour les sujets ainsi analysés. Ces divers individus (qui se désignent eux-mêmes par ce mot étrange de "psychanalyste"), que Sorel Cohen a ainsi soumis à son système d’interprétation artistique, pourraient se trouver délivrés de leurs obsessions maladives grâce à ces images exprimant leur univers privé maladif. Il faudra, bien sûr, que les soi-disant "psychanalystes" ainsi soignés acceptent de payer (un montant exorbitant) pour chacune des photos de Sorel Cohen et pour obtenir une version de ce texte par le critique de ce journal… Sans un tel déboursement, ces patients seront enclins à poursuivre leur funeste démarche décorative et continueront à se terrer dans un silence tout à fait pathologique.
Jusqu’au 12 avril
À la Galerie Donald Browne
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La psychanalyse et la décoration intérieure