Aude Moreau : Sur le tapis
Aude Moreau nous déroule un tapis blanc de sucre qui nous pousse à réfléchir aux conditions de production de nos biens de consommation. Embarras de richesse.
Voici une exposition qui, à nouveau, nous place devant un problème que nous ne voulons toujours pas entendre et qui perdure d’une manière éhontée. Encore de nos jours, les gens aisés des pays riches occidentaux, la nouvelle noblesse qui ne veut pas laisser tomber ses privilèges, continuent de consommer des produits fabriqués à partir de l’exploitation des gens des pays pauvres.
L’artiste d’origine française (mais vivant maintenant au Québec) Aude Moreau a réalisé un immense tapis blanc composé de deux tonnes et demie de sucre étalé dans la grande salle de la Fonderie Darling. Au pourtour, des motifs rouges et noirs (faits de pigment et de charbon), appliqués au pochoir, en constituent le dessin et accentuent cette illusion d’un riche tapis oriental. La fragilité de cette oeuvre invendable la rend bien invitante et bien sympathique. Dans un système capitaliste mondialisé où les artistes vendent de plus en plus d’oeuvres à des nouveaux riches en mal d’art décoratif, voilà qui est une prise de position importante.
Comme l’a montré le film Le Prix du sucre de Bill Haney (qui a remporté le prix du Meilleur documentaire au Festival international du film haïtien de Montréal en septembre dernier), il y a encore de nos jours des gens qui sont tenus en quasi-esclavage dans les plantations de canne à sucre (voir www.thepriceofsugar.com). Une oeuvre qui nous rappelle toute la pertinence de ceux qui défendent le commerce équitable.
Aude Moreau nous montre ici une démarche qui fera entre autres penser à celle de Dominique Blain, avec bien sûr son risque de littéralité. Moreau réussit à dépasser la simple illustration, car formellement son oeuvre a une présence indéniable. Sa dimension y est pour beaucoup. Cette proposition qui a demandé une réalisation collective (ne serait-ce que pour étaler le sucre) montre comment l’artiste doit être engagé de plusieurs manières. L’oeuvre ne doit pas seulement posséder un contenu politisé ou contestataire, mais doit aussi (c’est le philosophe Walter Benjamin qui l’a écrit) amener l’artiste (et l’amateur d’art) à réfléchir à sa position dans le processus de production et de consommation (en général et de l’art en particulier). Et il faudrait que cela aille plus loin. À quand des artistes qui indiquent à côté de leur nom la liste des gens qui ont collaboré à la réalisation de leur oeuvre?
Jusqu’au 1er juin
À la Fonderie Darling
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L’art engagé