Patrick Bernatchez : À deux doigts du fantastique
Dans Chrysalides, Patrick Bernatchez nous montre un monde séduisant et effrayant à la fois. Un artiste qui a gagné en maturité et en profondeur.
Son art se radicalise et gagne en pertinence. Il fut des expositions où je reprochais à Patrick Bernatchez de faire un travail où la séduction l’emportait. Maintenant, il arrive bien mieux à mettre en tension la beauté du monde avec le côté plus dramatique, sinistre et effrayant de celui-ci, ce qui s’amplifie dans son travail. Il arrive à nous séduire (ce qui n’est pas un défaut en soi) avec des textures et des couleurs attrayantes (sans être pour autant bonbons) et de plus, il trouve les moyens de nous inquiéter.
Sa grande peinture, d’un mauve un peu acide, installée sur miroirs, en est un bon exemple. Elle attire le regard comme peuvent le faire le papier glacier d’une revue de mode, le papier d’emballage chatoyant d’un cadeau de Noël… Mais très vite, dans l’épaisseur de ce champ coloré apparaissent des têtes de morts, des visages aux yeux ensanglantés, le tout surgissant d’un immeuble (le Fashion Plaza où se trouve son atelier dans le Mile End) qui semble sur le point de s’écrouler, évoquant peut-être le building détruit par des terroristes à Oklahoma en 1995… Un discours sur l’angoisse existentielle.
C’est aussi le propos de sa vidéo (Empereur), elle aussi très léchée, tout en étant totalement inquiétante. Vous y verrez un homme dans une BMW noire (signe d’une séduisante opulence), qui s’allume une dernière cigarette alors que sa voiture se remplit d’eau jusqu’à le submerger. Je n’y vois pas nécessairement le signe d’une réelle noyade, mais plus la cristallisation d’un sentiment d’étouffement. Un art pertinent qui ne tombe pas dans une dénonciation simpliste de la société de consommation.
Il s’agit d’une expo qui fonctionne extrêmement bien dans son ensemble, même si j’ai au moins un reproche à lui faire. Ses 91 dessins installés sur un mur font parfois un peu trop penser au travail des frères Chapman, citant eux-mêmes Goya (surtout avec ces corps suspendus dans des arbres). Mais, tout comme Ed Pien, Bernatchez fait aussi penser (et ce n’est pas un défaut) à Jérôme Bosch ou à certains symbolistes de la fin du 19e siècle. Un artiste avec lequel il faudra compter et qui s’inscrit dans une tendance forte en art actuel.
Jusqu’au 3 mai
Au Centre des arts actuels Skol
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