Doyon-Rivest : Enfants de pub
Doyon provient du milieu des arts, Rivest bosse dans la pub. Ensemble, ils empruntent à l’esprit du pop art afin de donner un nouveau sens à l’expression flou artistique.
Dès leur première expo en 2001 (Vos experts en création de besoins), Mathieu Doyon et Simon Rivest donnaient le ton: ils pilleraient le langage de la mise en marché, créant des installations à l’aide de photographies et de divers supports empruntés au milieu de la pub.
Leur premier effort sera remarqué au point où l’on se souvient encore d’eux pour ce coup d’éclat: une série de panneaux de format billboard, présentant des photos sibyllines ornées du logo d’entreprise dont ils se sont dotés.
Déclinant leur logo Doyon-Rivest de diverses manières, ils créeront ensuite des articles promotionnels qu’ils mettent en scène, croqueront d’étranges tableaux de vie quotidienne, aligneront les portraits comme on étale un vaste catalogue de casting, tout cela avec un certain décalage qui laisse place au doute.
Doyon et Rivest dénoncent-ils la pub ou se contentent-ils d’en embrasser les moyens?
Leur oeuvre la plus récente, qu’ils présentent à la quatrième Manif d’art, demeure dans le ton tout en affirmant le désir des deux artistes de donner à leur travail une dimension plus poétique. De loin, on croirait voir une constellation d’étoiles, mais en s’approchant, on remarque que chacun des points lumineux qui illuminent le cosmos est, en miniature, la photo du visage d’un individu éclairé par son téléphone cellulaire, son iPod ou son BlackBerry.
Afin de faire la lumière sur leur travail, de dissiper certains doutes et d’exposer leurs vues sur le monde de l’art, de la pub et leur manière d’envisager ce mariage qui peut parfois sembler contre nature, nous leur avons demandé de s’interviewer l’un l’autre et, pourquoi pas, de prendre leur propre photo pour la page couverture.
Un fantasme de publicitaire: contrôler le média.
Doyon: "Une première question pour toi, Simon: si tu avais à résumer notre travail à quelqu’un qui ne l’a jamais vu, comment le décrirais-tu?"
Rivest: "En fait, Doyon-Rivest détournent les codes de la publicité pour en faire des oeuvres d’art. Plus précisément, on s’est bâti une marque autour d’un logo qui est la signature de notre travail. Et comme les peintres qui signent des tableaux, nous, on signe des photos, des installations."
Doyon: "Penses-tu que cette manière de faire nous limite?"
Rivest: "À moyen terme, je pense qu’on va être capables de transcender le logo. Ça prend une masse critique de travail pour y arriver. Le logo va devenir accessoire, comme une compagnie qui finit par imposer un ton. Parce qu’une marque, c’est pas juste un logo ou un code de couleurs: c’est un langage, c’est la façon dont elle parle, se comporte. Le jour où on va faire de la vidéo, de la sculpture, on va transposer dans ces médiums-là notre manière de travailler ensemble. En observant leur travail, on s’aperçoit que les très grands artistes ont aussi cette aura, qu’ils agissent comme une marque. Ils ont un univers particulier. Nous, même si on n’en est vraiment pas là, on a galvanisé ça dans un logo, dans du détournement publicitaire. Mais ça fonctionne toujours comme ça."
Rivest: "Pour la petite histoire, Mathieu, pourquoi est-ce qu’on travaille à deux? Parce qu’on n’est pas assez bons (rires)?"
Doyon, sourire en coin: "Non, je ne pense pas. En fait, si on travaille à deux, c’est parce que je t’ai invité."
Rivest: "C’est vrai…"
Doyon: "Et si je t’ai invité, ça vient du fait que je joue aussi de la musique. Après mes études en arts, je me suis retrouvé seul en atelier, et j’aimais ça. Mais je faisais aussi de la musique, et ce qui me manquait dans l’atelier, c’était justement la discussion, la confrontation d’idées. Je t’ai invité parce qu’on s’entendait bien, qu’on avait fait de la musique ensemble, et je trouvais intéressant d’avoir deux points de vue différents sur l’image. Le mien provenant des arts visuels, le tien de la publicité, du graphisme."
Rivest: "Ce qui est étonnant, c’est que l’idée vient de toi, parce que c’est une manière typique de travailler en publicité: en équipes de deux… qui ont des comptes à se rendre, comme nous."
Rivest: "Bon, je saute un peu du coq à l’âne, mais d’après toi, est-ce que notre travail critique la pub, critique l’art, ou est-ce que ça critique quelque chose, tout simplement?"
Doyon: "Si on critique, ce n’est pas à la manière d’Adbusters [ndlr: fondation qui publie un magazine aux velléités subversives, dénonçant la pub et le consumérisme]. On ne fait pas de publicité bashing ni d’art bashing, d’ailleurs. On s’approprie les choses. On est plus là pour soulever des questions que pour apporter des réponses. Je ne pense pas qu’on fasse de l’art engagé."
Rivest: "Penses-tu qu’on devrait?"
Doyon: "Non. Je n’ai rien contre l’art engagé, mais j’en ai contre une certaine perception qui veut que l’art engagé soit plus valable, qu’il soit meilleur parce qu’il est engagé, alors que pour moi, ça n’a aucune espèce d’importance. Ce n’est pas parce qu’un art est engagé ou abstrait qu’il est bon ou mauvais. J’ai l’impression que l’art engagé est, par définition, associé à une époque; il est engagé par rapport à maintenant, à telle situation, mais dans 10 ans, 50 ans, ça aura beaucoup moins de résonance. Je n’ai pas la prétention de dire que ce qu’on fait va être encore connu dans 10 ou 50 ans, mais on a le souci de faire des choses plus intemporelles que ça."
Rivest: "C’est d’ailleurs ce qui est fascinant avec la pub: sa capacité à s’adapter. Elle est mue par des impératifs financiers, mais reste qu’elle s’adapte à n’importe quoi. Elle évolue avec son temps. Je réponds un peu à une question que tu n’as pas posée, mais voilà: c’est pour ça que je trouve la pub inspirante. Oui, les publicitaires ont plein de fric et ce qu’ils font n’est pas toujours subtil, mais ils ont quand même réussi des choses que les artistes n’ont pas fouillées. Ils réussissent à parler aux gens, à aller les chercher dans leur salon…"
Doyon: "Faut dire qu’ils ont les moyens de le faire…"
Rivest: "C’est sûr, ils ont des trucs à vendre. Mais il y a là des ressources fabuleuses qu’on pourrait peut-être utiliser dans l’art. Et il y a autre chose: il existe un langage visuel, des codes communs à la planète au complet qui se retrouvent dans la pub. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, ça existe, et c’est fascinant de pouvoir jouer là-dedans, au-delà de l’assemblage d’images et de logos. Ça, on l’a fait, mais je pense qu’on peut aller plus loin que ça."
Doyon: "Puisque tu en parles, comment vois-tu l’évolution de notre travail, entre la première expo avec les billboards et ce qu’on fait maintenant?"
Rivest: "C’est un peu comme ce que je disais tantôt: c’est le cheminement du code visuel de base de la publicité qui évolue vers une marque avec une vie. Il y a d’ailleurs une sorte de crise de cet ordre en ce moment dans la publicité. Il y a la publicité qu’on connaît, de base, et il y a tout le reste qui, pour nous, est tellement plus intéressant que des codes visuels. On pense à la notion d’expérience d’un consommateur, qui se rapproche un peu d’une visite dans une galerie d’art à certains égards, même si je sais que certains vont vouloir me "pitcher" des roches si je dis ça. Mais il y a quelque chose de semblable."
Doyon: "Tu veux parler d’une expérience dans une boutique?"
Rivest: "Entre autres, vite comme ça, je pense à la boutique Adidas à New York où tu peux "designer" tes propres souliers. Et il y a aussi des artistes qui participent à des lancements pour Lexus ou BMW, et qui font des sculptures ou des trucs abstraits à partir de l’auto. Tout ça pour dire que la pub va maintenant beaucoup plus loin que le simple support. Les marques ont des vies. En ce sens, c’est un peu la pub qui se rapproche de l’art. Ça devient autre chose."
Doyon: "Lors de la genèse de notre projet, on s’est justement demandé: "Est-ce qu’on peut mettre de l’avant le côté mise en marché et marketing de l’art?" C’est une chose à laquelle tout artiste doit penser. Faut que tu penses à te vendre. Mais en même temps, personne ne veut en entendre parler."
Rivest: "C’est vraiment un tabou, un vrai."
Doyon: "Alors que nous, on met ça de l’avant. On se vend. Je me souviens d’une autre phrase qu’on avait dite: "Si l’art ne se vend plus, est-ce que ce sont les artistes qui doivent se vendre?""
Rivest: "Exact. Vendre la réputation plus que l’objet."
Doyon: "Faut aussi se rendre compte que les artistes qui parviennent à vivre de leur production, ce sont des artistes qui ont un solide côté homme ou femme d’affaires. On est loin du cliché du peintre seul dans son atelier qui se coupe une oreille (rires). Faut que tu sois un bon créateur, mais aussi bon en affaires. C’est ça qu’on a voulu mettre de l’avant. Encore une phrase qu’on utilise: "Depuis toujours, le commerce récupère l’art à son profit. Nous voulons renverser la machine et tirer profit des stratégies du commerce pour les intégrer à une production artistique.""
Le Siècle des lumières de Doyon-Rivest
Jusqu’au 15 juin
À l’Espace GM
Dans le cadre de la Manif d’art 4
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