Franco Dragone : Semer des graines d’espoir
Des pousses de toutes sortes enjoliveront cet été les toits du Musée de la civilisation. Petits et grands, amoureux et solitaires viendront se ressourcer au Potager des visionnaires, une création de Franco Dragone. Genèse d’une idée qui a bien germé.
Jeudi passé, alors que la ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, Line Beauchamp, se tenait au pied de la chute Montmorency pour l’annonce d’un projet de loi clarifiant le statut juridique de l’eau, Franco Dragone, lui, avait les yeux rivés au fleuve pour l’inauguration du Potager des visionnaires, qui saura sans doute charmer tous ceux qui viendront y flâner. En maître jardinier, il a créé sur les toits du Musée de la civilisation un "espace organique, vivant et convivial" avec le concours d’artistes et de créateurs d’ici. "Ce projet, dit-il, j’ai tenu à ne l’envisager qu’avec des Québécois." Aux semences qui grandiront dans les bacs de béton du Musée se greffent un nautonier, personnage symbolique de l’installation, un décor bleuté de panneaux d’acrylique, un puits suscitant la réflexion, une ambiance sonore inspirante et une scénographie lumineuse tout en subtilité. Scénographes, sonorisateurs, éclairagistes, vidéographes et designers se sont tendu la main pour créer un spectacle haut en couleur.
Le public a aussi mis la main à la terre lors des étapes préliminaires du projet: les ateliers Arrosoirs farfelus et virevents fantaisistes, la distribution de semis lors de l’opération Parcomètres fleuris et la Grande Plantation. Tout un programme d’activités est prévu afin de faire de cet événement une véritable rencontre où l’on pourra échanger, créer, réfléchir ou tout simplement s’amuser. À surveiller, entre autres, à la mi-août, la Musique d’eau et de ouaouarons de Fred Lebrasseur.
LE CYCLE DES RECOLTES
Franco Dragone s’est investi de tout coeur dans ce projet. Lui qui compte Québec parmi ses amours a vite accepté l’invitation de la directrice du Musée de la civilisation, Claire Simard, qui caressait depuis longtemps le rêve de "faire de l’architecture du Musée une fête pour les yeux, le coeur et l’intelligence". En février, alors qu’elle annonçait son association avec la société DRAGONE, l’idée du potager n’avait pas encore germé.
"Pour ce projet hors du commun, qui célèbre à la fois le 400e anniversaire de Québec et les 20 ans du Musée, soulignait-elle alors, il fallait un créateur hors pair. Par son immense talent, ses réalisations d’envergure, sa renommée internationale et son attachement au Québec, le nom de Franco Dragone s’est imposé tout naturellement."
Bien qu’il ait quitté le Cirque du Soleil en 2000 pour créer sa propre entreprise, Dragone demeure pour plusieurs celui qui, aux côtés de Guy Laliberté, a renouvelé le cirque traditionnel. Le metteur en scène, qui a aussi travaillé avec Céline Dion (A New Day), dit avoir abordé Le Potager des visionnaires comme tout projet. "Je n’ai pas voulu faire des acrobaties, cependant. Je me suis embarqué dans une idée, dans un processus. Mais je suis resté éveillé et aux aguets pour être juste."
"L’idée du potager m’est venue de je ne sais plus où maintenant", enchaîne celui qui a passé les premières années de sa vie en Italie avant de prendre racine dans le petit village belge de La Louvière vers l’âge de six ans. "De mes origines, peut-être, car en Belgique, il y a vraiment une culture du jardin."
En cette belle journée, le regard de Dragone s’illumine alors qu’il se rappelle les jardins de son enfance. "Faire un potager, c’est surtout mettre les mains dans la terre pour faire pousser la vie. C’est la rencontre, la générosité, le partage. Toute cette symbolique m’a interpellé." Dans ce même esprit d’échange, les légumes récoltés tout au long de la saison seront remis à la maison Lauberivière, qui aide les sans-abri et les démunis.
DU POTAGER AUX VISIONNAIRES
"Sans donner de leçons, sans faire de discours, cependant, j’ai voulu offrir plus que des légumes, poursuit Dragone. Il fallait aussi apporter un message. Est alors venu le mot visionnaire. Au départ, je voulais faire appel à des personnalités comme Riccardo Petrella, par exemple, qui est à l’origine du Manifeste de l’eau pour un contrat mondial. Par un concours de circonstances, j’ai dû me raviser et j’ai pensé que l’approche des visionnaires, comme celle du potager, se devait d’être humble et modeste. La plus belle façon de le faire, c’était d’avoir des enfants qui, par leur regard innocent, parleraient de nous, de la vie."
Protégé par un toit d’où s’écoule une petite chute, un puits nous fait entendre des voix d’enfants. Garçons et filles s’expriment sur leurs espoirs et leurs craintes, sur l’importance de préserver la nature, dans un langage bien à eux. "Ce puits a aussi sa symbolique, précise Dragone. C’est la première chose que l’on creuse quand on arrive sur un terrain que l’on doit cultiver."
Et de l’eau du puits, les mots de Dragone glissent vers celle du fleuve. "Sur la rue Saint-Antoine, tout près du Musée, des pavés marquent les endroits où montait le fleuve à différentes époques. Il est donc en train de se rétrécir et ça aussi, ça m’a touché." Notons que sur place, les visiteurs pourront faire un don à Oxfam-Québec afin d’apporter de l’eau dans les pays où elle fait défaut.
"Pour Le Potager des visionnaires, j’ai voulu faire preuve d’une modeste audace, sans en faire trop, ni trop peu, poursuit Dragone. J’ai voulu convoquer tous les sens, interpeller les consciences et faire voyager par l’imaginaire. Les terrasses sont vides pour le moment, mais vous entendez, on voyage, il y a l’eau, la mer. On va pouvoir s’asseoir sur les escaliers. J’invite d’ailleurs tous les amoureux à venir ici."
Teintée d’une dimension politique, la pensée artistique de Dragone est en pleine concordance avec ce dont le monde d’aujourd’hui a besoin: un peu de poésie et de grandes doses d’espoir. Tout un chacun est ainsi invité à prendre part à ce beau projet qui ouvre les coeurs.
Jusqu’au 13 octobre
Au Musée de la civilisation