Le Louvre à Québec. Les arts et la vie : Louvre, où es-tu?
Arts visuels

Le Louvre à Québec. Les arts et la vie : Louvre, où es-tu?

Chers lecteurs, dites-nous, le Louvre est-il dans la bergerie? Voici ce que nous avons retenu et compris de l’exposition Le Louvre à Québec. Les arts et la vie au MNBAQ.

L’usage du superlatif et du point d’exclamation n’aura jamais été aussi abusif dans la presse québécoise que depuis l’ouverture de l’exposition du Louvre au MNBAQ. Perspicaces lecteurs, avez-vous remarqué comment la critique d’ici semble y avoir épuisé ses ressources d’adjectifs? On a crié "Au Louvre! Au Louvre!" jusqu’à l’essoufflement. En attendant que l’hystérie collective s’estompe et pour ne pas insulter l’intelligence du public, nous écrirons de l’exposition qu’elle offre des découvertes intéressantes, qu’elle est correcte et modeste.

C’est que de prime abord, le thème choisi, "les arts et la vie", nous agace rapidement. La nouvelle muséologie québécoise héritée de l’anthropologie y est sans doute pour quelque chose. Sa méthode, qui décloisonne la spécificité historique des groupes humains pour leur trouver un plus petit dénominateur commun, annihile celle de l’histoire de l’art qui cherche à enluminer les oeuvres et l’évolution des formes en art.

Le problème, c’est qu’avec une thématique aussi vaste, on nous garde toujours en périphérie de l’art pour se concentrer sur l’anecdote. Les oeuvres ne sont pas mises en relation, et les textes explicatifs n’éclairent en rien leur valeur esthétique propre – valeur résultant de la pensée humaine en évolution et contrainte à la matière par l’homme, selon la sensibilité de l’époque et de la civilisation où il vit.

Oui, on voit dans l’exposition que l’art est étroitement lié à la vie des hommes, mais leur relation à la beauté n’est pas expliquée. Le résultat fait qu’on en reste au sujet des oeuvres: des musiciens et des chanteurs, des danseuses, des couples qui s’embrassent, un cheval. L’art, c’est tout de même plus qu’un sujet, et un chef-d’oeuvre se comprend à la lumière d’autres oeuvres de même nature pour un artiste ou une époque précise, non pas par décret…

Par exemple, pourquoi pensez-vous que Fragonard a décidé de peindre avec une touche aussi grasse en 1769 alors que les tableaux du Salon de peinture parisien de la même année étaient correctement léchés pour effacer la trace du pinceau? Pas du tout certain que ce soit de la bête "brusquerie", comme on nous l’enseigne dans l’exposition. Il s’agirait plutôt d’un acte efficace et prémédité. C’est cette relation-là entre les oeuvres qui demeure inexplorée malgré le mélange incohérent des époques. Mélange qui, dans ce but, aurait justement permis de comprendre des nuances si pleines de sens.

Ce qui est pire que tout dans le choix de la thématique, c’est qu’elle réduit pratiquement l’homme à ses besoins vitaux: manger, boire, s’habiller, s’amuser. Mais justement, quand il serait temps de nous montrer toute la grandeur de l’esprit humain dans ses rites et sa spiritualité (qui a pourtant forgé la modernité actuelle du monde occidental), l’éclipse est quasi totale. Seule une allusion à la salle 6 va comme suit en parlant des artistes: "L’art au service des dieux fait place à l’art créé par les nouveaux dieux." Une telle affirmation est maladroite, sinon grossière. D’un seul coup, c’est 3000 ans d’histoire et d’oeuvres juives ou chrétiennes qui sont escamotés au profit d’une puérile aseptisation du religieux. Heureusement, les oeuvres islamiques nous consoleront en partie de ce silence avec des pièces d’orfèvrerie damassées vraiment majeures et de superbes panneaux de céramique d’Iznik. Ce secteur du Louvre étant fermé pour rénovations, on comprend aisément que le prêt d’oeuvres pareilles fut possible…

N’en déplaise à certains collègues, il faut avoir vraiment beaucoup d’imagination pour trouver dans le reste de l’exposition de "purs chefs-d’oeuvre". Si un chef-d’oeuvre est par définition la meilleure oeuvre d’un artiste, ou sinon une oeuvre capitale, il y a loin de la coupe aux lèvres. Selon cette définition, le plus incrédule des amateurs comprendra vite que les vrais chefs-d’oeuvre sont rares dans cette exposition. D’ailleurs, outre les pièces mineures de Fragonard, Delacroix et Corot, on ne rencontre que très peu d’oeuvres des grands maîtres. Oubliez aussi les artistes de la Renaissance ou du baroque qui ont fait la renommée du "célébrissime" musée. Même pas un Ingres ou un David! Si bien qu’on se demandera sincèrement de quel Louvre on parle. Peut-être le nouveau satellite du Louvre à Dubaï connaîtra-t-il un meilleur sort que celui réservé à notre 400e anniversaire?

Jusqu’au 26 octobre
Au Musée national des beaux-arts du Québec
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