Adad Hannah : Aveuglement
Adad Hannah, artiste de 37 ans qui se fait remarquer ces jours-ci à la Triennale d’art québécois du Musée d’art contemporain, a un solo en galerie. Pièges à regards.
Dans cette exposition, une oeuvre se démarque de l’ensemble et vole la vedette aux autres. Il s’agit du vidéo intitulé Earthly Delights. Une pièce à la fois cocasse et inquiétante, qui nous confronte à une scène bien énigmatique. Adad Hannah y emprunte un ton presque humoristique et frôlant l’irrévérencieux (digne des comédies de Woody Allen). Il arrive ainsi à ruiner l’aspect sérieux du thème abordé.
Deux personnes, de dos, couvertes d’un seul drap noir (ce qui leur confère une forme générale évoquant un chameau!) se tiennent immobiles durant plusieurs minutes devant un célèbre triptyque du 16e siècle, le Jardin des délices de Jérôme Bosch. Ainsi couvertes, voient-elles vraiment cette oeuvre du Musée du Prado à Madrid montrant le paradis terrestre et l’enfer? Et qui sont-elles? Sont-ce des femmes musulmanes qui sont ainsi voilées? Ou serait-ce plutôt deux religieuses catholiques? Cette ambiguïté saura rappeler que le christianisme a lui aussi projeté sur le corps de la femme (et sa chevelure) une chape de fantasmes et de péchés… Le regard négatif sur la femme, la misogynie, est répandue dans bien des religions. Mais s’agit-il vraiment de femmes? Rien ne peut nous le garantir. Il s’agit peut-être d’une parodie. Le voile ne sera jamais levé sur l’énigme de ces figures et sur leurs réactions à cette peinture (ont-elles une petite jouissance esthétique?). Et c’est bien ainsi.
Tout comme l’oeuvre de Bosch recèle des éléments cryptés sur lesquels les historiens de l’art ne s’entendent pas totalement, la scène concoctée par Adad Hannah semble résister à nos explications. En agissant ainsi, l’artiste nous confronte au mystère de la foi et aux discours moraux répressifs, irrationnels et effrayants que les religions ont inventés pour imposer des dogmes opprimants ou violents… Le ton plus clairement moqueur de ce vidéo vient atténuer l’aspect solennel présent dans la série des Museum Stills réalisée par Hannah. De plus, en donnant à son dispositif un contenu culturel plus large que celui associé à l’art et aux musées, il insuffle à son travail une signification plus riche.
Dans cette expo intitulée Reflections, il faudra aussi regarder attentivement The Dauphin’s Treasure, photo exhibant des objets merveilleux et scintillants dans une vitrine, elle aussi, au Musée du Prado. Cette image d’une netteté absolue, frôle néanmoins l’illisibilité, des jeux de reflets et de miroitements très complexes en rendant la lecture moins facile qu’il n’y paraît au premier coup d’oeil. En fait, Hannah joue souvent sur cette problématique, sur la limite entre le réel et l’illusion, entre le réel et l’atmosphère onirique, entre des registres narratifs différents. Parfois cela devient une recette presque facile et pas si originale. Sa réflexion sur la limite entre la vidéo et la photo, très présente dans toute sa série de Stills (vidéos montrant des êtres figés dans une pose photographique, mais qui sont en fait comme des tableaux vivants), attire certes le regard, mais fait penser à d’autres artistes d’ici (Bettina Hoffmann) et de l’étranger (Bill Viola). Néanmoins, un artiste incontournable de la scène canadienne.
Jusqu’au 5 juillet
À la Galerie Pierre-François Ouellette
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