Le Louvre à Québec. Les arts et la vie : Si près, si loin
Trois créateurs en arts visuels se sont faufilés, tels des intrus, parmi les oeuvres de l’exposition Le Louvre à Québec. Les arts et la vie. Se prêtant au jeu du dialogue, Isabelle Laverdière, Jean-Pierre Morin et Thierry Arcand-Bossé nous parlent de leur art en regard d’une oeuvre de leur choix.
PARFUMS D’ORIENT
Isabelle Laverdière n’a pas tardé à trouver un objet à cette quête improvisée: un plat à décor calligraphique de l’Iran oriental (Xe-XIe siècle). "C’est la pureté de l’oeuvre qui m’a attirée, nous raconte l’artiste. J’ai beaucoup aimé la finesse du dessin, qui est en fait un texte. À première vue, ça semble être écrit très spontanément, comme le geste libre d’écrire son nom. Quelque chose de très simple, en fait. Mais quand on regarde de près, on se rend compte que c’est une ligne très raffinée."
"La technique est riche et subtile en même temps, poursuit Laverdière. Il y a sans doute eu de la soustraction qui a été faite dans l’argile pour révéler le trait calligraphique. La dimension de l’objet est aussi intrigante. Ce devait être un plat de service parce que ça semble trop gros pour être une assiette."
Si elle a choisi cet objet, c’est sans doute aussi, nous dit-elle, parce qu’elle vient tout juste de façonner l’argile pour son exposition Le Réfectoire, présentée jusqu’à l’automne au Musée naval de Québec. Elle y présente entre autres de vieilles pièces de vaisselle qu’elle place aux côtés d’oeuvres de son cru afin d’évoquer les batailles navales du Saint-Laurent.
Quand on lui demande ce qui lui vient à l’esprit lorsqu’elle songe au pays où a été produite l’oeuvre, l’artiste pluridisciplinaire nous répond Les Mille et une Nuits. "On dirait que ces régions du monde n’existent que dans mon imaginaire, parce que ça me semble très loin, en fait, explique-t-elle. C’est une culture que je connais à peine. Pour moi, c’est non seulement quelque chose d’exotique, mais de presque abstrait, à la limite, et très mystérieux."
"Vous savez, quand on aborde une oeuvre d’art, on le fait avec nos connaissances, avec notre culture, avec nos désirs et nos frustrations. On se projette dans une oeuvre, donc. Avec ce plat, par contre, on sent qu’on n’est pas assez outillé. Il y a un code à déchiffrer pour interpréter l’oeuvre." Comme nous l’indique à cet effet la notice explicative, l’écriture arabe qui orne le large marli du plat est une maxime: "La magnanimité, son goût est amer au début, mais à la fin plus doux que le miel." Le texte, avec une délicate référence à la nourriture, relève la fonction de l’objet tout en s’adressant à l’esprit.
LA FIN DE LA COMMANDE
Le sculpteur Jean-Pierre Morin, reconnu pour ses oeuvres d’art public, dont Convergence (1997) que l’on peut maintenant voir à la promenade Samuel-De Champlain, a quant à lui commenté l’une des oeuvres vedettes de l’exposition, le marbre Zéphyr et Psyché (salon de 1814) de l’artiste belge Henri Joseph Ruxthiel (1775-1837).
"Cette sculpture est l’une des plus imposantes de l’exposition. On y voit deux personnages au corps nu représentés dans une position assez acrobatique. Mais ce n’est pas tellement ça qui m’a intéressé, précise l’artiste. C’est plutôt la finesse du drapé, le traitement des cheveux et les petites fleurs qui sont sculptées ici et là. J’ai l’impression que c’est en exécutant ce genre de détails que les artistes s’éclataient, si on peut dire, plus que dans la sculpture des corps, qui demeure ici dans les normes classiques. Dans cette oeuvre, poursuit Morin, le voile sculpté au-dessus de la tête de Zéphyr est d’une telle finesse que l’on voit passer la lumière au travers du matériau. C’est un détail empreint d’une folie qu’on ne retrouve pas dans le reste de la pièce."
"À cette époque, poursuit Morin, les artistes devaient respecter la commande. Ils étaient au service de l’idéologie et ils se devaient de respecter la vision du mécène. Cependant, les plus doués d’entre eux ont développé un génie pour personnaliser leur travail au-delà de la commande."
"Dans mon travail d’art public, les contraintes à respecter sont davantage d’ordre technique. Elles concernent la sécurité et la résistance des matériaux. Aujourd’hui, une chance, on a beaucoup plus de liberté comme artiste et c’est un gain pour nous. La commande, on s’en est heureusement débarrassés! Notre art est ainsi davantage basé sur l’expression personnelle."
D’UN CROQUIS A L’AUTRE
Pour sa part, l’artiste de la relève Thierry Arcand-Bossé a porté une attention particulière à l’ensemble d’études mise au carreau d’Antoine Coypel (1661-1722) et aux croquis préparatoires à la statue équestre de Louis XV par Edme Bouchardon (1698-1762). "J’ai beaucoup apprécié ces études, dit-il, car dans ma façon d’aborder la peinture, le dessin est primordial. Je peux dessiner avec finesse et précision ou appliquer sur la toile un trait large au pinceau. Même si je travaille avec une masse peinte, je sens vraiment que je dessine. Par contre, mon imagerie puise davantage dans la bande dessinée, la photographie et les publicités américaines des années 50 plutôt que dans le réel étudié par ces artistes."
Celui qui a participé à la Manif d’art 4 et à l’édition 2007 du Symposium d’art contemporain de Baie-Saint-Paul renchérit sur cette liberté qu’ont aujourd’hui les créateurs. "Je pense moi aussi qu’on a de la chance de pouvoir créer comme on veut et de faire ce qu’on a envie de faire."
Le Louvre à Québec. Les arts et la vie
Jusqu’au 26 octobre
Au Musée national des beaux-arts du Québec
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