Massimo Guerrera : Réseau-contact
Arts visuels

Massimo Guerrera : Réseau-contact

Massimo Guerrera poursuit son projet Darboral à la Fonderie Darling. La version la plus aboutie.

Cela fait déjà huit ans que Massimo Guerrera a amorcé son projet multi-facettes Darboral. Huit ans qu’il multiplie les rencontres avec le public et les interventions installatives dans les galeries et musées (Biennale de Montréal, Musée du Québec, Galerie Joyce Yahouda…). Par ses interventions, ces lieux ne sont plus uniquement des glorificateurs d’objets à vendre, mais aussi et surtout des aires de rencontre où l’art est comme un catalyseur, un intermédiaire entre les individus. Ses installations sont comme un salon intime où le visiteur est convié à prendre du temps, à méditer. Dans ses espaces, couverts de tapis, le visiteur marche déchaussé et peut s’asseoir afin de rencontrer d’autres individus ainsi que l’artiste (souvent présent). Ici et là, l’installation est ponctuée de plantes (orangers, pamplemoussiers…) obtenues à partir des pépins de fruits mangés lors de précédentes rencontres… En huit ans, Guerrera a ainsi utilisé son art pour bien des dialogues. Il décrit Darboral comme un "espace-temps", mais il s’agit aussi d’espaces-traces. Certes son oeuvre frôle l’utopie, et même le nouvel âge, mais à notre époque où l’art est plus souvent qu’autrement vendu au système capitaliste, voilà un idéal séduisant que j’aimerais voir plus souvent chez les artistes.

Jamais son entreprise n’a atteint une meilleure réalisation que celle qui est à la Fonderie Darling ces jours-ci. Le réseau de fils électriques qui emplit les hauteurs de ce monumental espace est spectaculaire. Et il appuie avec justesse une idée que Guerrera met en valeur dans le titre de son expo. Ces fils sont en effet comme un trait d’union entre le visible et l’invisible, une sorte de matérialisation des liens qui existent entre les individus. Jamais cette ancienne usine ne fut aussi bien investie. Guerrera habite, comme personne ne l’avait fait, cette salle imposante, qui fut si écrasante pour d’autres artistes et d’autres oeuvres. On croirait que ce lieu a été fait pour cette intervention. Le visiteur aura l’impression que Guerrera y cite Marcel Duchamp, mais heureusement pas celui du ready-made. Il renoue (si je puis dire) avec le Duchamp de l’oeuvre Ficelles (un réseau de deux kilomètres) installée comme une toile d’araignée dans une salle de l’Expo surréaliste en 1942 à New York. Quoique Guerrera est aussi en lien avec le Duchamp des moulages en négatif. Ici et là, ses sculptures cristallisent l’air qui est autour des choses.

Cette réussite est-elle due au fait que l’artiste travaille plus une forme d’art familière, la sculpture? Il y a peut-être un peu de ça. Cette grosse tête posée sur un socle (formée des visages de plusieurs personnes, dont les yeux de Sylvie Cotton) ne manque pas de panache. Mais ce n’est pas la principale raison. C’est le judicieux équilibre entre les formes originales et le contenu intelligent qui donne à cette intervention toute sa grâce. Quelques petites phrases, presque anodines, écrites ici et là, la rendent encore plus intéressante: "Laissez les choses être ce qu’elles sont"; "Tout le monde remplit son vide de ce qu’il peut"… Elles nous trottent dans la tête après notre visite. Comme l’ensemble de cette expo.

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